PARTIE 1 :
L'ADAPTABILITÉ DU MODÈLE CONVERSATIONNEL
Nous envisageons ici l’étude des Communications Médiées par Ordinateur, et en particulier, des interactions sociales observées sur le dialogue en direct de Caramail, comme un domaine de recherche « analytiquement viable (…) autonome de plein droit » (Goffman, 1988 : 191) : l’interaction sociale est entendue comme « ce qui apparait uniquement dans des situations sociales, c’est–à-dire des environnements dans lesquels deux individus ou plus sont physiquement en présence de la réponse de l’un et de l’autre » (Idem.) ; le bavardage électronique textuel et synchrone pouvant alors être considéré comme une « version réduite de la chose réelle primordiale » (Ibid.), comme le téléphone et le courrier…
Une version réduite,
mais non négligeable, que nous dénommerons cyberconversation,
dont les caractéristiques pourront d’autant mieux, selon notre hypothèse,
être mises à jour par comparaison avec le modèle référent
du face à face ; mais dont les bases analytiques restent encore à
établir.
Comme on le sait, « la conversation est tenue pour l’exemple canonique
de l’interaction : « the basic form of speech exchange system. »
(Sachs, Schegloff, Jefferson, 1978 : 47) ; « le prototype de toute interaction
verbale » (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 115). » (Traverso, 1996 :
5). Toutefois, le concept ne saurait être appliqué sans nuance
au cas des conversations par ordinateur car « la détermination
complète de la signification du discours s’opère dans la
relation avec un marché » (Bourdieu, 1993 : 115).
Ces règles
n’étant pas universelles, la variation est généralement
examinée entre différentes sous-cultures au sein d’une même
société (contrastivité interne) ou/et entre différentes
cultures (contrastivité externe).
C’est donc en quelque sorte à la frange extrême de la contrastivité
externe (si l’on adopte la perspective d’une « cyberculture
») que nous nous situerons en étudiant de manière inductive
les cyberconversations comme une forme de variation des conversations de face
à face.
Nous nous proposerons d’observer particulièrement cette variation,
dans une seconde partie intitulée variation du modèle conversationnel,
à travers trois critères : les différences sémiotiques,
le tour de parole et l’organisation des échanges.
Les différences sémiotiques dépendant par définition
du contexte énonciatif, nous nous attacherons, dans une première
partie, à la description du dispositif et du cadre des interactions sur
le dialogue en direct de Caramail.
I
Description du dispositif et du cadre des interactions sur le dialogue en direct
de Caramail :
1)
Description du dispositif :
Illustration 2 : reconstitution de la page d'accueil du dialogue en direct de Caramail (suppression des bandeaux publicitaires)
- Les salons publics
:
L’interface propose 3 séries de salons permanents centrés
sur les classes âge, les zones géographiques ou les centres d’intérêt
(actualités, blagues, informatique…). Il est intéressant
de constater que les participants sont invités, au besoin, à créer
eux-même de nouveaux salons publics et à pallier ainsi les carences,
volontaires ou involontaires, du support.
Illustration 3 : liste non exhaustive des « autres salons publics », créés par des utilisateurs (avril 2001) (classement par ordre alphabétique)
Le sexe apparaît comme un centre d’intérêt particulièrement fédérateur si l’on en juge par le nombre de salons aux titres évocateurs . Les localités géographiques (villes, région… « micro-distinctives ») sont également fortement référées (l’interface ne proposant au titre de salons permanents que des pays, critère « macro-distinctif »).
- Les salons privés, en accès restreint, sont créés
par des membres, pour des membres désignés. (Ils ne sont pas concernés
par le recueil des données.)
Illustration 4 : captures d'écran du
dialogue en direct de Caramail
(version html-version java)
Comme le mentionne la page d’accueil du dialogue en direct,
l’interface propose deux présentations distinctes : une version
HTML (acronyme de l’anglais HyperText Markup Language, norme de codage
standard) ou une version JAVA (langage de programmation permettant d’unifier
les programmes et de les rendre compatibles avec toutes les plates-formes).
Le support précise à ce propos : « Nous vous conseillons
vivement d'utiliser la version JAVA du dialogue en direct, beaucoup plus riche
et plus simple d'utilisation (mais un peu plus longue à démarrer)
»
La différence entre les deux versions (qui réside essentiellement
dans les possibilités de décodage plus restreintes de la version
HTML, rendant par exemple impossible la lecture de nombreux smileys [2] ), peut être source d’incompréhensions.
Le cas semble toutefois exceptionnel, il en sera examiné un plus avant.
Le choix de la version affectant essentiellement la présentation de la
page d’écran, et non les échanges en ASCII, dans la pratique,
il influe sur le confort de l’utilisateur mais peu sur les interactions.
Le message est rédigé à l’extérieur
de la fenêtre commune, dans un petit espace rectangulaire. Précisons
que la rédaction du message est indépendante de son émission.
Pour chaque énoncé, la manipulation doit se conclure par une confirmation
de l’action sur la touche « envoyer ». En conséquence,
contrairement au face à face, il ne peut y avoir émission d’énoncés
totalement involontaires. On lit de gauche à droite, chaque énoncé
décale l’ensemble vers le haut, les messages les plus récents
se situent donc en bas de page. Ils apparaissent individuellement ou par bloc,
selon l’activité qui règne sur le salon, quelques secondes
après avoir été envoyés. (On présume que
cette durée est plus ou moins variable mais qu’elle s’applique
à tous les participants d’un même salon de manière
identique. Le matériel informatique et le choix de la version interviennent
dans une proportion que nous estimons ici négligeable).
Venons-en aux implications du dispositif sur les échanges interactionnels.
2) Cadre [3] des interactions :
- La notion de représentation
:
Le cyberespace est un « théâtre de la prouesse verbale »
nous dit Herz (1996 : 15), le net « un gigantesque dépôt
de costumes et de masques. » (idem : 190)
Il y a en fait, un double niveau de représentation dans ce qui se joue
quotidiennement sur le dialogue en direct de Caramail.
Au sein du groupe, chacun des participants peut individuellement être
considéré comme étant en représentation, dans la
mesure où « tout comportement a un élément de représentation
dès lors qu’on décide ou accepte d’être jugé
au regard de ce comportement » (Dell Hymes cité par Goffman, 1991
: 13). L’on pourrait même à la limite parler de représentations
personnelles spontanées [4] , chacun pouvant à sa guise se
construire un « rôle », plus ou moins actif, pour partie fondé
sur un pseudo et l’ASV [5] (Cf. infra).
Par ailleurs, le dialogue en direct est aussi en lui-même une représentation
unique permanente. Les participants y sont pour partie acteurs et spectateurs,
de leur propre prestation comme de celles des autres (alors qu’en face
à face, l’on ne perçoit de sa propre conduite que des indices
de rétroaction (feed back)).
Au contraire d’une représentation théâtrale, l’on
ne peut toutefois considérer la production des échanges sur les
salons de discussion comme purement destinée à des spectateurs
qui la regardent.
Nombre de cyberconversations initiées, en public, se poursuivent ainsi
en « privé », loin des yeux indiscrets (les énoncés
échangés entre les deux scripteurs ne sont alors plus insérés
sur l’écran commun, mais sur leurs seuls écrans respectifs,
ce qui favorise sans doute les échanges à caractère plus
intime… ).
Exemples :
pitoune_theriault> LES MECS VENAIT EN PV AVEC
MOI ON VA SE FAIRE DU TRIPE
05/04/01 23h37
salon 10 - 14 ans#563
iseut4> 123_45> fais-moi
ce pont pour que je puisse te rejoindre
iseut4> 123_45> en
pv mec
iseut4> mdrrrrrrrrrrrrrrr
06/04/01 01h48
salon 40 ans et plus#420
Il s’agit ici d’une référence à un canal d’émission
privé (« pv » en abrégé), qui, par son usage,
qualifie donc aussi indirectement la nature des propos.
Par ailleurs, la représentation théâtrale, entendue comme
« tout arrangement qui transforme un individu en un acteur » (Goffman,
1991 : 132) pose aussi clairement le statut déculpabilisé du spectateur [6] . L’on va voir que sur le chat, ce statut est plus
ambigu.
Toujours selon Goffman, la caractéristique d’un acteur est qu’il
« peut non seulement être regardé de façon prolongée
sans être offensé mais doit être observé pour engager
ceux qui le regardent en qui deviennent son « public » ».
Cela est caractéristique car dans le face à face de la vie quotidienne
« (…) l’on doit faire preuve au contraire de circonspection
dans le regard qu’on porte sur autrui » (idem).
Sur les salons observés, le rapport entre le nombre de participants que
nous qualifierons d’actifs (soit, ceux qui émettent des messages
sur l’espace commun) et le nombre de participants total (limité
à 35 par salon) est estimé approximativement à 1 pour 3.
Même en sachant qu’on ne peut mesurer la part de l’activité
en privé, et en prenant en compte la possibilité pour un même
connecté de participer simultanément à plusieurs salons
[7] , il faut admettre que l’engagement des participants
est fortement variable
[8] .
Mais s’ils sont probablement les plus nombreux, les spectateurs (c’est
à dire les participants apparemment non actifs) ne semblent pas pour
autant « sûrs de leur bon droit » : ainsi trouvent-ils généralement
nécessaire de se justifier lorsqu’ils sont personnellement interpellés
sur leur non participation :
iseut4> yeux-bruns>
silencieuse et liseuse à ce que je vois
yeux-bruns> iseut4> je me suis absentée
et je suis de retour
06/04/01 01h48
salon 40 ans et plus#420
Une petite expérience, plus proche de la rupture, a tenté de mettre
en lumière cet aspect : sous le pseudo argneuuuuuuuu, nous apostrophons
(utilisation des majuscules, du rouge) 4 participants apparemment non actifs
: 2 choisiront l’évitement, (du propos et de l’énonciateur)
et ne répondront pas (maritournelle, anousch25) ; 1 quittera le salon
(allali_moustafa), 1 autre se justifiera en évoquant typiquement «
une nécessité impérieuse » (annie_champlain). Notons
l’intervention d’un tiers (residente), faisant allusion aux excès
chocolatés des fêtes de Pâques…
argneuuuuuuuu> maritournelle>
HOOOO ! TU REPOND OU KOI?!!!
residente> argneuuuuuuuu> elle a du mangé
trop de chocolat...
residente> argneuuuuuuuu> et toi?
argneuuuuuuuu> moi j'ai rien à lire
residente> argneuuuuuuuu> ils doivent tous
être rassasiés
argneuuuuuuuu> allali_moustafa>
PK VOUS PARLER PAS?
argneuuuuuuuu> annie_champlain>
PK VOUS PARLEZ PAS?
argneuuuuuuuu> anoush25>
PK VOUS PARLEZ PAS?
annie_champlain> argneuuuuuuuu> mais j'ai
ete au toilette un cas d'urgence
16/04/01 16h15
salon 40 ans et plus#564
À l’évidence, même si cette expérience n’est
qu’illustrative, elle montre une certaine difficulté pour les spectateurs
à assumer leur rôle.
Précisons également que le statut de spectateur est, de fait,
préexistant à celui de l’acteur. Ainsi, comme le décrit
Herz, « Rôder, c’est la phase larvaire dans le cycle vital
d’un Nethead [9], d’une tête
de net. Un stade voyeuriste, où l’on assume, sinon ses responsabilités,
du moins la fascination de paître avec une bovine délectation sur
les vertes pâtures du discours online… » (Herz, 1996 : 15)
Pour caractériser le cadre théâtral, Goffman précise encore : « L’espace scénique où s’effectue véritablement la représentation et celui qui est réservé aux spectateurs sont en général deux territoires bien séparés » (1991 : 132). Sur le dialogue en direct de caramail, le dispositif détermine distinctement un lieu de l'action et des coulisses.
Considérons le lieu de l’action, la scène,
comme le service de dialogue en direct matérialisé par la fenêtre
commune des échanges. Et examinons plus en détail l’activité
hors-cadre…
Les coulisses pourraient se définir comme « l’action avant
ou après la scène, derrière elle, qui est incompatible
avec elle la plu part du temps » (Goffman, 1991 : 215). Sur le dialogue
en direct, l’attention devant être focalisée sur les échanges,
d’une certaine façon, les coulisses comprennent toutes les actions
de la vie réelle qui ne peuvent être menée conjointement.
Et l’on note comme Verville et Lafrance que « tous les silences motivés
par des activités hors-cadre, se doivent d’être clairement
identifiés à l’écran… » (1999 : 203)
colonelfreezer> 2 mn / ravitaillement :!)
11/04/01 04h48
salon 30 - 40 ans#513
Le fil des cyberconversations s’interrompt donc régulièrement.
Exemple :
felinnoir>
2 secondes je reviens, ça s'affole a la cuisine
08/05/01 22h
40+ #915
Quand l’interruption est inexpliquée, elle suscite généralement
un rappel à l’ordre…
1aakita>
felineeeeeeeeeeeee
(…)
1aakita> feline.feline1> ?????, ca veux dir
ekoi ca
(…)
feline.feline1> 1aakita> J EN SAIS RIEN JE JOUE
AU CARTES A VEC MES FILS
16/04/01
salon 40 ans et plus#562
Il faut noter que les activités en coulisses peuvent servir
également de support à des constructions collectives de discours,
relativement rares au demeurant :
saint-hubert.nerval>
1aakita> moi je mange
1aakita> saint-hubert.nerval> bon appetit
a toi
(…)
saint-hubert.nerval> 1aakita> merci
1aakita> saint-hubert.nerval> tu mange devant
l'ecran? j'y crois pas!
(…)
saint-hubert.nerval> 1aakita> ben si
feline.feline1> saint-hubert.nerval> hi j'ai faim
aussi
1aakita> saint-hubert.nerval> alors la tu
me bats bravo
saint-hubert.nerval> 1aakita> j'ai les doigts
tous gras c'est le poulet
1aakita> saint-hubert.nerval> mdr envois
moi une cuisse
feline.feline1> saint-hubert.nerval> HI ATENTION
AU DERAPAGE
taiso> saint-hubert.nerval>
moi l'aile
saint-hubert.nerval> bonjour le clavier
16/04/01
salon 40 ans et plus#562
Ces coulisses ne sont pas la seule limite du cadre des échanges. À
côté du canal principal de l’action, la fenêtre commune
des échanges, existe un canal de superposition constitué par toutes
les autres fenêtres (ou pages web) ouvertes simultanément. Ces
messages sont transmis de façon dissociée mais sont sans lien
direct avec l’activité principale. Certains s’apparentent toutefois
à des signaux de direction dont Goffman nous dit que « … s’ils
sont extérieurs au contenu de l’activité proprement dite,
[ils] permettent néanmoins de la réguler, de la circonscrire,
d’articuler et de qualifier ses différentes composantes »
(1991 : 210). C’est le cas des fenêtres permettant de lister tous
les membres du salons, tous les participants présents sur le dialogue
en direct, tous les salons…
(Nous reviendrons plus en détails sur les éléments du canal de direction dans l’examen du matériel sémiotique).
Illustration 5 : l'activité hors-cadre
Reste que sur le chat, le degré d’observation d’un
individu et son degré d’exposition ne sont pas indissociablement
déterminés comme en face à face. Ainsi, les limites perceptives
sont grandes, dans la mesure où la co-présence des interactants
est situationnelle et non pas sensorielle (tout repose sur la lecture du texte)
; mais elles sont par ailleurs repoussées, au sens où tous les
échanges sont indistinctement perceptibles par chacun des participants,
qu’il en soit ou non le destinataire.
Examinons à présent, les supports de la présentation de
soi sur le dialogue en direct.
Composante fondamentale de la construction de l’identité sur le salon, la possibilité technique offerte aux connectés de se dégager des signaux corporels leur laisse toute liberté quant à leur auto-description. Outre la langue qu’ils emploient [10], les participants peuvent recourir à l’examen de trois éléments fixes pour interpréter la conduite de l’autre et ainsi « connaître à l’avance les limites à l’intérieur desquelles l’acteur va vraisemblablement se comporter » (Goffman, 1988 : 96) : le profil, l’A.S.V. et surtout le pseudo…
Chacun des participants dispose d’un « profil » individuel, qu’il peut modifier à volonté et qui peut être consulté par les autres membres (illustration 6). Ce profil est pour partie constitué de l’Age, du Sexe et de la ville de résidence du connecté (l’ A .S .V .) (illustration 7). Précisons tout de même que ces informations sont facultatives : concernant le caractère sexué, on note même la possibilité pour le connecté de ne pas se déterminer (« je ne sais pas » ce qu’il faut comprendre comme : je ne veux pas le dire et par conséquent, vous ne le savez pas). Sur la liste des membres du salon, les participants s’étant désigné comme « garçon » apparaissent en bleu, les filles en rose, les « indécis » en jaune…
Illustration 6 : deux exemples de "profils" contrastés
Illustration 7 : L'A. S. V.
L’ASV constitue avec le profil un des rares supports de prévisibilité
pour les membres. Les indications qu’il fournit, vraies ou fausses, constituent
des connecteurs, des indices permettant la catégorisation sociale des
autres participants. L’absence d’indications, totale ou partielle
est parfois génératrice de troubles. L’environnement anonyme
renforce en effet un sentiment déjà observé notamment par
Lipiansky, dans son travail sur l’expérience groupale : l’intolérance
manifeste à l’ambiguïté… « Celle-ci est souvent
source de malaise et les participants y réagissent en essayant de rétablir
des catégories dichotomiques. L’individu dont l’identité
peut paraître ambiguë sous certains aspects est sommé de «
choisir son camp » » (Lipiansky, 1992 : 83).
Plusieurs exemples illustrent cet aspect :
henri.claude>
argneuuuuuuuu> moi j'aime bien parler à des gens qui ont un ASV
(…)
argneuuuuuuuu> henri.claude> Pourquoi stp?
(…)
henri.claude> argneuuuuuuuu>
par ce que j'aime pas l'annonimat
(…)
argneuuuuuuuu> henri.claude> (pause) RIRES!!!!!
Vous avez été ignoré par henri.claude.
16/04/01 16h15
salon 40 ans et plus#564
Notons le caractère tautologique de l’explication d’henri.claude
: de fait, cette dernière ne nous renseigne pas sur les raisons du trouble
; en revanche, il transparaît formellement. La conduite d’évitement
se matérialise par la suite, officiellement, par un ultime et rapide
recours au dispositif (« Vous avez été ignoré par…
»).
Autre extrait d’une séquence d’observation participante, sur
un salon 10-14 ans (nous intervenons sous le pseudo de poischiche00) : ici,
l’on notera, malgré l’immatérialité des échanges,
la réaction scriptée, elle aussi tangible, d’une jeune participante
confrontée à l’impossibilité de procéder à
la catégorisation sexuée de son interlocuteur. En l’absence
de donnée, la stricte application de la règle grammaticale la
conduit ainsi à s’imposer à elle-même, certaines précautions
typographiques et orthographiques quant à l’accord des adjectifs
en genre (les énoncés ont été soulignés).
clauclau34>
poischiche00> fille ou gars!?!
(…)
poischiche00> clauclau34> ça dépend!!
(…)
clauclau34> poischiche00> hahahaha tres tres
drole
(…)
clauclau34> poischiche00> serieux tes koi
(…)
poischiche00> clauclau34> qu'est ce que ça
peut bien faire ce que je suis??!!!
(…)
clauclau34> poischiche00> ben je veux savoir
putain
poischiche00> clauclau34> Putain??!!! ou
ça?
(…)
clauclau34> poischiche00> laisse don faire
clauclau34> poischiche00> dabort si tu veux
pas me dire si tes une fille ou un gars fais juste me dire ta quelle age stp
poischiche00> clauclau34> desole c encore
trop demander
clauclau34> poischiche00> pfff
poischiche00> clauclau34>
clauclau34> poischiche00> tes pos fin(e)
(…)
clauclau34> poischiche00> allé
sois gentil(le) et dis moi ta quelle age au moin ;op
(…)
poischiche00> vous ne
saurez rien de moi!!!!
05/04/01 01h51
salon 10-14#579
Précisons que chacun compose avec cette identité
fictive et l’absence éventuelle d’élément, pour
se constituer au final, une vision toute subjective de l’« autre
» : notre interlocutrice conclura ainsi notre échange par…
clauclau34> poischiche00> bye bye mon cowboys
;op
…que nous laisserons au lecteur le soin d’interpréter.
Il faut comprendre que ces éléments d’identité
concourent également à alimenter les propos.
La séquence suivante montre trois mouvements successifs où, le
contact ayant été établi (les salutations échangées)
entre un membre, eurydice_la_douce, et trois autres participants, le lieu de
connexion sert de première ressource de l’échange ; mais
ce sujet se heurte ici à une réserve d’information, et cause
la rupture rapide de l’engagement.
eurydice_la_douce>
bhodisattva> salut
bhodisattva> eurydice_la_douce> bonjour comment
va?
eurydice_la_douce> bhodisattva> vais tres
bien et toi?
bhodisattva>
eurydice_la_douce> ça va... d'ou viens tu?
eurydice_la_douce> bhodisattva> de la bas!
(…)
bhodisattva> eurydice_la_douce> avec ça
je suis fixé! tu es au boulot?
(…)
samir1293> eurydice_la_douce> comment tu
vas la douce
eurydice_la_douce> samir1293> vais bien merci
et toi?
samir1293> tres bien tu es ou maintenant
eurydice_la_douce> samir1293> qque part!
c'est pas important ou je suis!
samir1293> eurydice_la_douce> je suis curieux
eurydice_la_douce> samir1293> oui mais pas
besoin de savoir ou je suis pour parler non?
samir1293> eurydice_la_douce> tu prends les
choses tres compliquer
eurydice_la_douce> samir1293> nan justement!
samir1293> jje veu rien de toi mais seulement
discuter avec toi
eurydice_la_douce> samir1293> ben ok discutions
dans ce cas!
n.bella1> eurydice_la_douce> t'es d'où
eurydice_la_douce> bon je file un peu plus loin!
21/03/01 16h
Salon 30 - 40 ans#151 16h
Comme on aura pu le constater, le droit d’un participant à l’anonymat,
s’il est acquis, n’en est pas moins souvent renégocié
(et l’on note dans l’exemple précédent, les différents
stratagèmes dont use eurydice pour typiquement « répondre
sans répondre » à ce qu’elle pourrait considérer
comme une « lésion de sa propriété intellectuelle
» : la discrétion consistant à « ignorer volontairement
tout ce que l’autre ne nous révèle pas expressément
» Simmel cité par Goffman, 1974 : 19) . En effet, ce droit est
aussi un devoir imposé à l’autre : celui de se départir
de tous les repères catégorisant l’émetteur, pour
n’exploiter que les ressources internes de la conversation.
C’est ainsi que certaines thématiques spécifiques favorisent
sans doute cette participation anonyme : nous l’avons constaté sur
le salon informatique par exemple. C’est aussi généralement
le cas sur les salons abordant le thème de la sexualité.
Par ailleurs, l’importance relative des trois caractéristiques de
l’ASV est aussi plus ou moins grande en fonction de ces mêmes thématiques.
(Ainsi, l’on verra que l’âge est un critère central sur
les salons du même nom, catégorisés par classes d’âges
; de même, pour le caractère sexué, sur le salon public
« lesbiennes uniquement » qui regroupe quasi-exclusivement des participants
s’auto-désignant comme « femme » (hormis ceux ne s’étant
pas déterminés).
Que les informations fournies soit vraies ou fausses importe peu ici : l’on
constatera simplement à la suite de Goffman, que « l’obligation
de s’engager se définit en fonction de tout le contexte dans lequel
se trouve l’individu » (Goffman, 1974 : 114)
Nous avons évoqué avec l’ASV et le profil, la forme dite
« catégorielle » d’identification d’un individu
par un autre (« … qui implique de placer l’autre dans une ou
plusieurs catégories sociales » (Goffman, 1988 : 195)). Nous allons
maintenant, avec le pseudo, examiner plus précisément la forme
« individuelle » (« … par laquelle l’individu observé
est rattaché à une identité unique et distinctive…
» (idem.))
L’entrée sur le site de Caramail (accessible en théorie à des personnes majeures ou à des mineurs justifiant d’une autorisation parentale) implique l’ouverture d’un compte gratuit, protégé par un mot de passe. Ce compte ouvre une adresse E-mail, et permet entre autres, l’accès au dialogue en direct. Chaque connecté à un salon est automatiquement inséré dans les listes des participants, sous un pseudo équivalent au nom de référence du compte. Chacun dispose par ailleurs de la possibilité technique de se construire des « alias », des identités alternatives (à concurrence de 5 alias par compte). Ainsi, comme le note Reid (1991) « Our conventional presentation of self assumes that we cannot change the basics of our appearance. Physical characteristics, although open to cosmetic or fashionable manipulation, are basically unalterable. What we look like, we have to live with. This is, however, not the case on IRC. »
L’on constate qu’hormis l’indice de direction qu’il représente,
le terme « pseudo », diminutif de pseudonyme, est employé
ordinairement dans deux acceptions différentes :
Dans le premier cas, l’identité est perçue
comme fictive en vertu notamment du principe de mutabilité du pseudo
(alias) ; dans le second, plutôt comme une identité réelle,
(d’ailleurs le virtuel ne s’oppose pas au réel, Cf. Levy) du
fait de son imprescriptibilité (il ne peut a priori se perdre par le
non-usage).
Il nous semble que cet antagonisme apparent trouve également un écho
dans la prise de position méthodologique et éthique des chercheurs
qui prônent la modification, quand ce n’est pas la suppression pure
et simple, des pseudos lors de la publication des travaux. Cette démarche,
qui n’a pas été le nôtre, dépend également
du rôle et du poids accordés aux pseudos en terme de prévisibilité
et d’ajustement interpersonnel : si l’on considère le processus
d’échange linguistique comme centré sur le locuteur (Gumperz)
ou sur l’énoncé. Dans une perspective interactionniste, il
semble, ici, falloir considérer le pseudo comme porteur d’indices
largement susceptibles d’influer sur les stratégies de comportement…
Quant à la transformation systématique des pseudos, elle se heurte
à la condition de trouver une équivalence respectant le caractère
symbolique, référentiel, voir poétique de l’original.
Condition rarement remplie de façon satisfaisante. Pour en juger, ces
quelques exemples : à gauche les originaux, à droite les équivalences
envisagées…
De fait, tous les signes ASCII peuvent être utilisés
pour créer son pseudo. Distinguons avec Poitou (lui-même à
la suite d’Anis [11] ), 3 sortes de graphèmes :
- Les alphagrammes : les lettres
- Les topogrammes : les graphèmes ponctuo-typographiques (signes de ponctuation,
espace inter-mots, majuscules)
- Les logogrammes stricto sensu (les signes non alphabétiques : @ # &
% $ £… ; les chiffres et opérateurs mathématiques :
0 1 2 3 = - +… ainsi que les abréviations alphabétiques )
et quasi-logogrammes (sigles, qui font d’une séquence d’alphagrammes
une unité globale)
(L’on pourrait ainsi évaluer individuellement les pseudos selon
qu’ils sont constitués de plus ou moins d’alphagrammes et de
topogrammes notamment, et selon la signifiance de leur association. Parmi les
pseudos constitués d’alphagrammes, de loin les plus nombreux, les
plus « transparents » pourraient être les patronymes supposés
réels (margot_riehl, theoguilbaud), quant à ceux composés
exclusivement de topogrammes, l’élaboration graphique la plus signifiante
pourrait être illustrée ici par ).
Sans entrer dans le détail des catégories de pseudos constitués
d’alphagrammes, notons outre les patronymes et les diminutifs : des références
à des animaux (petit_poisson_rouge, zouby_la_mouche…), des traits
de caractère réels ou attribués (be_girl_funny, ducon117…),
des personnages imaginaires, existants ou ayant existés (v.dracula ;
britney.spears83, robertbadinter ; marie_stuart1, john_lennon … ).
Nul doute qu’une étude approfondie serait en la matière instructive,
elle ne pourra toutefois être menée ici essentiellement faute de
temps.
Précisons que nombre de pseudos sont suivis d’un chiffre ou d’un
nombre. Ces derniers sont, soit choisis volontairement par l’usager, soit
attribués automatiquement par l’administrateur du site, pour distinguer
deux pseudos par ailleurs identiques.
Les références collectivement partagées étant aussi
collectivement exploitées, les variations sur un même pseudo sont
diverses…
gaby.pop> devel_or_angel> cest pas comme
ca quon ecris diable en englais cest devil
gaby.pop> devil
devel_or_angel> gaby.pop>
je sais mais c qu il etait deja prit
gaby.pop> devel_or_angel> ha
05/04/01 01h51
salon 10-14#579
Ou encore :
diddl69> diddline_diddl> TU A COPIER
diddline_diddl> diddl69> tu aime diddl
(…)
diddl69> full_skate_in_a_life>OUI J ADORE
ET TOI
(…)
diddline_diddl> diddl69> oui tu connais des
site sur lui
05/04/01 23h37
salon 10-14#563
(Ici, l’examen du contexte de l’échange nous permet de noter
par ailleurs une erreur de mention du destinataire sur le troisième énoncé
full_skate_in_a_life pour diddline_diddl)
Comme l’ASV et le profil, nous notons que le pseudo possède
cette propriété de susciter la conversation. Un connecté,
à qui cette caractéristique n’a pas échappé
a d’ailleurs souligné cette fonction « conative » dans
son pseudo : le_pseudo_ki_fait_parler (la fonction « conative »
selon Jakobson, est à l’œuvre « lorsque le destinateur
s’efforce d’agir sur le destinataire » (Bachmann, Lindenfeld,
Simonin, 1980 : 27)
Certaines références prêtent d’ailleurs à de
nombreux jeux de mots ou à une présentation de soi plus originale…
obelix441> p!d
iseut4> obelix441>
salut la Gaulle
obelix441>
(…)
obelix441> iseut4> salut a toi
obelix441> iseut4> tu es de quel planete
123_45> iseut4> bof je prefere les romains
moi
iseut4> obelix441>
alorss très cher le sanglier il était
bon
06/04/01 01h48
40 ans et plus#420
mysteriousways> cerealkiller23>qu'est
qu'un tueur ds un champs de blé?.................un cereal killer
19/03/01 15h30
salon blagues
De même que le patronyme, le pseudo peut-il être l’objet d’une
contraction lors de son emploi par les autres participants (diminutif), à
l’image d’un nom et prénom.
margot_riehl> be_girl_funny> salut
hevil_man> be_girl_funny> salut
(…)
be_girl_funny> salut ca
va margot et hevil
14/03/01 14h30
salon 10 - 14 ans#47
prost2> je vai te detruire moi aussi manequin
manequin.lu> magic.rital> TA GUEULE
manequin.lu> prost2> TOI J TE CAUSSE PAS
14/03/01 15h06
salon 14-18
Précisons tout de même que dans les deux exemples précédents,
le gain de temps dans la frappe de l’énoncé pourrait motiver
essentiellement cet usage du diminutif.
Il faut considérer que toute assertion relative au pseudo, qu’elle
soit positive [12] ou négative, touche à un objet sacré
: la face. Par conséquent, toute altération volontaire du pseudo
d’un connecté est une atteinte potentiellement grave, qu’il
revient à l’offensé de manifester :
Deux exemples :
lemak15> mr.salade.de.fruits> salut face
de concombre
(…)
mr.salade.de.fruits> lemak15>
nan de fruit pffff
19/03/0115h18
salon 25 - 30 ans#113
just_a_try> anne-lise.lisou>
tu vois! charles-henri est d'accord avec moi...
(…)
charles_legrand> just_a_try> merci pour le
charles henry j'aime bcp
just_a_try> charles_legrand>
si on peux plus rigoler
(…)
charles_legrand> just_a_try> mais si vas
y je te takine
19/03/0115h18
salon 25 - 30 ans#113
Pivot de la présentation de soi, le pseudo est un support de prévisibilité
pour les participants, dans un contexte marqué par une co-présence
situationnelle et non physique.
larauffe> jean.besaloeil> au faite j'aime
pas trop ton pseudo
larauffe> jean.besaloeil> tu aurais pu trouver
mieux, non ?
jean.besaloeil> ha bien que veux-tu je suis
arrivé avec
larauffe> jean.besaloeil> ca fait un peu
je me la joue quoi !
larauffe> jean.besaloeil> tu dois etre parisien,
non ?
jean.besaloeil> oui, tu as trouvé
larauffe> jean.besaloeil> tu m'ettone
larauffe> jean.besaloeil> j'aurais parié
là dessus
larauffe> jean.besaloeil> on vous flaire
de loin
09/04/01 00h
salon 40 ans et plus#468
Mais l’exemple suivant nous rappelle, si besoin était, que cette
prévisibilité est fragile.
Zouby_la_mouche l’apprend ici à ses dépens…
zouby_la_mouche> seduisante_asiatique>
ta gueule SALOPE
(…)
seduisante_asiatique>
zouby_la_mouche> Je suis un mec connard!
(…)
zouby_la_mouche> seduisante_asiatique>
bon ba ta gueule SALAUD quand on a un nom comme ça
c con et PD
(…)
zouby_la_mouche> pokemon446>
vive les vieux nom
14/03/01
salon 10 - 14 ans#48
Par ailleurs, chaque interprétation d’un pseudo, classifiante, doit
être entendue comme socialement, culturellement marquée.
Le prochain exemple nous montre aussi que le pseudo est qualifié par
certains de surnom :
15/03/01
salon 14-18 #140
Nous ne saurions conclure l’évocation des pseudos, sans insister sur les possibles implications négatives de l’environnement anonyme.
Le choix du pseudo étant, comme sur IRC, soumis au principe de l’unicité,
l’on peut considérer à l’instar de Rheingold que la
présentation de soi repose sur le postulat d’une identité
artificielle mais stable « An artificial but stable identity means that
you can never be certain about the flesh- person behind an IRC nickname, but
you can be reasonably certain that the person you communicate with today under
a specific nickname is the same one who used that nickname yesterday. (…)
According to Reid, "The uniqueness of names, their consistent use, and
respect for--and expectation of--their integrity, is crucial to the development
of online communities." » (Rheingold, 1993).
Quelques remarques, toutefois :
Malgré l’unicité du pseudo, la multitude peut générer
une certaine confusion.
nadia_k1>
mimi2507>
c t pas toi tout à l'heure qui ma parler ou je me trompe de MIMI?
14/03/01
salon 10 - 14 ans#47
… Et donner ainsi naissance à certains quiproquos.
L’exemple suivant est particulièrement explicite :
a.laddy>
aigle100> papaaaaaaaaaa
aigle100> a.laddy> ?????????????
(…)
a.laddy> aigle100> t'es mon papa
(…)
aigle100> a.laddy> ah oui ca te tentes toi
ce matin
(…)
a.laddy> aigle100> ben voyons tu me reconnais
pas mon oiseau
(…)
aigle100> a.laddy> oui mais de la a faire
ton pere loll pas si vieux que ca moi la
(…)
a.laddy> aigle100> oups je crois que je me
suis trompé de personne désolée oups
aigle100> a.laddy> tu te trompes d oiseau
surement
(…)
a.laddy> aigle100> oui c'est ça désolée
encore
(…)
aigle100> a.laddy> oui tu es phoqué
la hihi
(…)
a.laddy> aigle100> c'est qu'on rigole le
soir avec un aigle et je l'appelle papa me suis trompée excuse moi
aigle100> a.laddy> oui t as pas a t excusser
16/04/01
40+#562
Par ailleurs, que deux usagers distincts exploitent un même pseudo est
toujours possible :
- Soit dans le cadre d’une activité conjointe, explicite
(conjugaison, pseudo lui-même) :
cple.mano.desi>
recherchons pour pbm
informaticien
16/04/01 16h15
salon 40 ans et plus#564
- Soit par usage abusif d’un pseudo existant [13] et le doute sur l’identité
de l’émetteur ne peut alors être levé qu’à
la condition que l’imposteur se démasque lui-même : l’exemple
suivant peut laisser ici supposer une certaine collusion familiale.
kate.y>
diddline2> salut comment tu vas je suis le frere de kate.y
(…)
sandrine_hello_kitty> ok
kate.y> sandrine_hello_kitty> ui je suis
le frere de kate.y et j'ai 12 ans tu veux?
(…)
kate.y> alors y as t il quequn?je suis le frere
de kate.y
05/04/01 23h37
salon 10-14#563
Le discrédit étant toujours possible, l’auteur de la supercherie
peut aussi être pris en flagrant délit de mensonge:
meufdeloverman56> salut qui conner loverman56
(…)
bosse321> meufdeloverman56> moi
(…)
loverman56> bosse321> je te connais pas
21/03/01 14h08
10-14#113
Reste que « l’effet immédiat de l’environnement anonyme
est de procurer aux utilisateurs une impression de sécurité »
nous disent Verville et Lafrance, citant Reid (1999 : 199). Du sentiment de
sécurité à celui d’impunité, il peut n’y
avoir qu’un pas.
Et sans entrer dans une critique moralisatrice sans rapport avec notre travail,
il nous faut toutefois souligner certaines dérives…
Au premier rang desquelles, les interventions à caractère exclusivement
sexuelles, proférées par des intervenants sur des salons 10-14
ans, dont la maîtrise des expressions, de la syntaxe et de l’orthographe
peuvent laisser à penser qu’ils ont dépassé le cycle
scolaire élémentaire…Deux exemples enregistrés le
même jour :
insaisissable>
un petit depucelage?
(…)
craz_nana> insaisissable> tu na rien as faire
le pedofile
05/04/01 23h37
10 - 14 ans#563
r2310>
citronne.tu aime le
sexe
citronelle_13> r2310> ben la g pas trop l'age
r2310> quoi
r2310> libelule_2> tu aime le sexe toi
libelule_2> r2310> t un conard
(…)
r2310> libelule_2> va te masturber
citronelle_13> r2310> criss va te faire foutrte
toi
libelule_2> r2310> suceur de chamaux
05/04/01 23h37
10 - 14 ans#563
Par ailleurs, l’on note que tous les participants ne sont pas égaux
en matière de maîtrise de l’outil informatique. C’est
ainsi que certains parviennent sans difficulté, grâce au numéro
I.P. des utilisateurs, à s’introduire dans la boîte de réception
de leurs interlocuteurs, et divulguer ainsi des informations supposées
confidentielles (on peut d’ailleurs légitimement se demander dans
l’exemple précédent pourquoi citronelle_13 interpelle r2310
par « criss »). Plusieurs exemples illustrent cette faille du système
(pour des raisons évidentes, les noms réels des utilisateurs ont
ici été remplacés par XXXX) :
Le premier met en présence trois participants, dont deux (je_parle_a_un_con
et max5555), ligués contre le troisième (rej33)
je_parle_a_un_con------------l>
rej33> tu m'as
l'air bien con toi XXXX :OD
rej33> max5555> good encore cest le fun
(…)
max5555>
je_parle_a_un_con------------l> en plus il adore cet idiot.peu etre quil
croit quon va se faire virer
je_parle_a_un_con------------l> max5555>
mdr
(…) [départ de rej33]
je_parle_a_un_con------------l> max5555>
si t'avais vu ce ke j'ai vu dans sa boite mdr
je_parle_a_un_con------------l> max5555>
kel vieux salopard
je_parle_a_un_con------------l> :OD
max5555> je_parle_a_un_con------------l>
quest ce quil y a?
je_parle_a_un_con------------l> max5555>
des fotos de bites mdr
je_parle_a_un_con------------l> max5555>
il a l'air pd comme un phoque
je_parle_a_un_con------------l>
max5555> ya des gamines aussi
max5555>
je_parle_a_un_con------------l> il a vraimen tt les defaut ce pauvres gars
je_parle_a_un_con------------l>
max5555> il est parti le con il a eu peur mdr
max5555> je_parle_a_un_con------------l>
des gamines c vrai?
je_parle_a_un_con------------l> max5555>
oui 15 ans au plus ça craint!!!!!
max5555> il
faut quoi comme programme pour aller sur sa boite?
je_parle_a_un_con------------l>
max5555> euhhhhh je sais plus :OD
Nous ne saurions ici distinguer la part du vrai de celle du faux, et vérifier
la véracité des propos tenus. Toutefois, la divulgation du patronyme
réel, quand elle est exploitée par l’un, est rarement contestée
par l’autre sur le fond, malgré de vives protestations sur la forme…
taz_99991>
salut les petits vieux
123_45> taz_99991> salut marie
taz_99991> 123_45> qui sa
123_45> taz_99991> melle XXXX marie
123_45> taz_99991> c'est pas toi? XXXX marie?
taz_99991> 123_45> pk tu sa voire sa
123_45> taz_99991> je connais ta maman
(…)
123_45> taz_99991> retourne vite dans ton
salon et on oubie
taz_99991> 123_45> TES QUI TOI AVANT)
123_45> taz_99991> interessante ta boite
de reception
taz_99991> 123_45> FERME LA
yeux-bruns> taz_99991> agressive Mlle
123_45> taz_99991>XXXX marie
123_45> yeux-bruns> si sa maman savait....
yeux-bruns> 123_45> le sait-elle?????
iseut4>
123_45> diss-moi cee qui se passe
123_45> yeux-bruns> ben non
iseut4> grrrrrrrrrrrrrrrrrrrr
123_45> iseut4> rien, je voulais juste qu'elle
nous laisse tranquilles
taz_99991> 123_45> SES KOI TON NOM
123_45> iseut4> je ne la connais pas
iseut4> bieen
qque veeux ddire cette cohue de femelle
123_45> taz_99991> tu veux apprendre a ejecter?
comme ca tu embeteraqs mieux?
taz_99991> 123_45> SI TES CAPABLE DE DIRE
MON NOM TES CAPABLE DE DIRE LE TIEN
(…)
06/04/01 01h48
40+#420
Nous venons de procéder à la description du dispositif et du cadre
des interactions sur le dialogue en direct de Caramail ; nous avons pour ce
faire, évoqué la notion de représentation et de présentation
de soi. À la suite de Rheingold nous pourrions ainsi résumer l’ensemble,
par cette formule lapidaire mais assez juste : « everyone is on stage
who wants to be, everyone is the audience, and everyone is a critic. »
Abordons maintenant la question de la variation du modèle conversationnel,
en nous focalisant sur les échanges. Nous nous attacherons d’abord
à la description des différences sémiotiques, avant d’examiner
plus en détail l’organisation de ces mêmes échanges
à travers le fonctionnement du tour de parole, ainsi que l’examen
de deux moments fortement empreints de rituel en face à face : l’ouverture
et la clôture de l’interaction.
[1] … non sans une pointe de malice… Comme le décrit Herz "seuls les pseudos cyberpunks utilisent le préfixe "cyber" sans ajouter aussitôt une grimace de dérision." (Herz, 1996 : 336)
[2] Les smileys, ou icônes des émotions (Cf. Infra : variation du modèle)
[3] V. Traverso (1996 : 9) nous rappelle la définition de ce terme, utilisé par Hymes "Ce terme s'applique au moment et à l'endroit où se déroule l'acte de parole et d'une manière générale, à tout ce qui le caractérise".
[4] Cf. Goffman, 1991 : 133 et suiv.
[5] ASV : Age Sexe Ville
[6] spectateur : "toute personne qui, devant une activité quotidienne, y jette un oeil sans se cacher" (Goffman, 1991 : 138)
[7] L'internaute est par nature ubiquiste
[8] E. Wolff dans une étude intitulée « pratiques médiatiques et identité familiale à la Réunion » constate un usage socialement différencié du média télévisuel, et distingue d’une part, une TV « de stock », (usage relativement circonscrit dans le temps, TV dite « apprenante »…) d’autre part, une TV « de flux » (branchement constant, pratique distrayante…). L’on pourrait envisager un telle dichotomie concernant l’usage d’Internet sur la base du contrat d’accès choisi par le connecté… On peut en effet supposer (en l’absence d’études sur la réception) qu’une connexion forfaitaire illimitée incite à un usage « de flux » (la rentabilité financière du contrat lui étant inhérente). Ainsi, le dialogue en direct peut-il, de même, être plutôt envisagé comme un pur canal secondaire de distraction, ou-et comme un canal d’activité principale, temporairement ouvert, et requérant un engagement certain.
[9] "Nethead ; litteralement "tête de net"; individu totalement sous la fascination de ce nouveau moyen de communcation" (Herz, 1996 : 345)
[10] généralement le français, mais l’usage de l’arabe, de l’italien ainsi que des langues créoles est aussi attesté… La liste n’est certainement pas exhaustive
[11] Ref. citée Anis, Jacques, 1989. « De certains marqueurs graphiques dans un modèle linguistique de l'écrit. » DRLAV-Revue de Linguistique 41 : 33-52.
[12] l’essentiel des échanges complimenteurs porte d’ailleurs, selon nos données, sur le pseudo
[13] Même si l'administrateur affirme la chose impossible…