PARTIE 1 :

L'ADAPTABILITÉ DU MODÈLE CONVERSATIONNEL

Nous envisageons ici l’étude des Communications Médiées par Ordinateur, et en particulier, des interactions sociales observées sur le dialogue en direct de Caramail, comme un domaine de recherche « analytiquement viable (…) autonome de plein droit » (Goffman, 1988 : 191) : l’interaction sociale est entendue comme « ce qui apparait uniquement dans des situations sociales, c’est–à-dire des environnements dans lesquels deux individus ou plus sont physiquement en présence de la réponse de l’un et de l’autre » (Idem.) ; le bavardage électronique textuel et synchrone pouvant alors être considéré comme une « version réduite de la chose réelle primordiale » (Ibid.), comme le téléphone et le courrier…

Une version réduite, mais non négligeable, que nous dénommerons cyberconversation, dont les caractéristiques pourront d’autant mieux, selon notre hypothèse, être mises à jour par comparaison avec le modèle référent du face à face ; mais dont les bases analytiques restent encore à établir.
Comme on le sait, « la conversation est tenue pour l’exemple canonique de l’interaction : « the basic form of speech exchange system. » (Sachs, Schegloff, Jefferson, 1978 : 47) ; « le prototype de toute interaction verbale » (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 115). » (Traverso, 1996 : 5). Toutefois, le concept ne saurait être appliqué sans nuance au cas des conversations par ordinateur car « la détermination complète de la signification du discours s’opère dans la relation avec un marché » (Bourdieu, 1993 : 115).

Aussi, proposons nous de dénommer [1] cyberconversation, l’échange communicatif synchrone établit par la médiation d’un ordinateur, de nature textuelle ou multimédia (même s’il ne sera ici question que d’ « interactions « scriptées » »). Nous incluons ainsi les travaux consacrés à IRC cités précédemment et dans la perspective de pouvoir dégager les principes d’organisation et les caractéristiques des cyberconversations sur Caramail (soit un premier canevas théorique axé sur un Webchat), nous confronterons également nos observations aux modèles des conversationnalistes.
L’analyse conversationnelle, nous dit Kerbrat-Orrechioni, a pour objectif de « dégager les règles et principes qui sous-tendent le fonctionnement des conversations, et plus généralement, des différents types d’échanges communicatifs qui s’observent dans la vie quotidienne. » (1998b : 7).

Ces règles n’étant pas universelles, la variation est généralement examinée entre différentes sous-cultures au sein d’une même société (contrastivité interne) ou/et entre différentes cultures (contrastivité externe).
C’est donc en quelque sorte à la frange extrême de la contrastivité externe (si l’on adopte la perspective d’une « cyberculture ») que nous nous situerons en étudiant de manière inductive les cyberconversations comme une forme de variation des conversations de face à face.


Nous nous proposerons d’observer particulièrement cette variation, dans une seconde partie intitulée variation du modèle conversationnel, à travers trois critères : les différences sémiotiques, le tour de parole et l’organisation des échanges.
Les différences sémiotiques dépendant par définition du contexte énonciatif, nous nous attacherons, dans une première partie, à la description du dispositif et du cadre des interactions sur le dialogue en direct de Caramail.

I Description du dispositif et du cadre des interactions sur le dialogue en direct de Caramail :

1) Description du dispositif :

Illustration 2 : reconstitution de la page d'accueil du dialogue en direct de Caramail (suppression des bandeaux publicitaires)

 

·        Ségrégation des salons de discussion selon le caractère public-privé :

- Les salons publics :
L’interface propose 3 séries de salons permanents centrés sur les classes âge, les zones géographiques ou les centres d’intérêt (actualités, blagues, informatique…). Il est intéressant de constater que les participants sont invités, au besoin, à créer eux-même de nouveaux salons publics et à pallier ainsi les carences, volontaires ou involontaires, du support.

Illustration 3 : liste non exhaustive des « autres salons publics », créés par des utilisateurs (avril 2001) (classement par ordre alphabétique)

 

Le sexe apparaît comme un centre d’intérêt particulièrement fédérateur si l’on en juge par le nombre de salons aux titres évocateurs . Les localités géographiques (villes, région… « micro-distinctives ») sont également fortement référées (l’interface ne proposant au titre de salons permanents que des pays, critère « macro-distinctif »).


- Les salons privés, en accès restreint, sont créés par des membres, pour des membres désignés. (Ils ne sont pas concernés par le recueil des données.)

·        Choix de la version :

Illustration 4 : captures d'écran du dialogue en direct de Caramail
(version html-version java)

 

Comme le mentionne la page d’accueil du dialogue en direct, l’interface propose deux présentations distinctes : une version HTML (acronyme de l’anglais HyperText Markup Language, norme de codage standard) ou une version JAVA (langage de programmation permettant d’unifier les programmes et de les rendre compatibles avec toutes les plates-formes).
Le support précise à ce propos : « Nous vous conseillons vivement d'utiliser la version JAVA du dialogue en direct, beaucoup plus riche et plus simple d'utilisation (mais un peu plus longue à démarrer) »
La différence entre les deux versions (qui réside essentiellement dans les possibilités de décodage plus restreintes de la version HTML, rendant par exemple impossible la lecture de nombreux smileys [2] ), peut être source d’incompréhensions. Le cas semble toutefois exceptionnel, il en sera examiné un plus avant. Le choix de la version affectant essentiellement la présentation de la page d’écran, et non les échanges en ASCII, dans la pratique, il influe sur le confort de l’utilisateur mais peu sur les interactions.

·        Organisation technique des échanges :

Le message est rédigé à l’extérieur de la fenêtre commune, dans un petit espace rectangulaire. Précisons que la rédaction du message est indépendante de son émission. Pour chaque énoncé, la manipulation doit se conclure par une confirmation de l’action sur la touche « envoyer ». En conséquence, contrairement au face à face, il ne peut y avoir émission d’énoncés totalement involontaires. On lit de gauche à droite, chaque énoncé décale l’ensemble vers le haut, les messages les plus récents se situent donc en bas de page. Ils apparaissent individuellement ou par bloc, selon l’activité qui règne sur le salon, quelques secondes après avoir été envoyés. (On présume que cette durée est plus ou moins variable mais qu’elle s’applique à tous les participants d’un même salon de manière identique. Le matériel informatique et le choix de la version interviennent dans une proportion que nous estimons ici négligeable).

Venons-en aux implications du dispositif sur les échanges interactionnels.


2) Cadre [3] des interactions :

- La notion de représentation :
Le cyberespace est un « théâtre de la prouesse verbale » nous dit Herz (1996 : 15), le net « un gigantesque dépôt de costumes et de masques. » (idem : 190)
Il y a en fait, un double niveau de représentation dans ce qui se joue quotidiennement sur le dialogue en direct de Caramail.
Au sein du groupe, chacun des participants peut individuellement être considéré comme étant en représentation, dans la mesure où « tout comportement a un élément de représentation dès lors qu’on décide ou accepte d’être jugé au regard de ce comportement » (Dell Hymes cité par Goffman, 1991 : 13). L’on pourrait même à la limite parler de représentations personnelles spontanées [4] , chacun pouvant à sa guise se construire un « rôle », plus ou moins actif, pour partie fondé sur un pseudo et l’ASV [5] (Cf. infra).
Par ailleurs, le dialogue en direct est aussi en lui-même une représentation unique permanente. Les participants y sont pour partie acteurs et spectateurs, de leur propre prestation comme de celles des autres (alors qu’en face à face, l’on ne perçoit de sa propre conduite que des indices de rétroaction (feed back)).

·        L’acteur et le spectateur :
Au contraire d’une représentation théâtrale, l’on ne peut toutefois considérer la production des échanges sur les salons de discussion comme purement destinée à des spectateurs qui la regardent.
Nombre de cyberconversations initiées, en public, se poursuivent ainsi en « privé », loin des yeux indiscrets (les énoncés échangés entre les deux scripteurs ne sont alors plus insérés sur l’écran commun, mais sur leurs seuls écrans respectifs, ce qui favorise sans doute les échanges à caractère plus intime… ).
Exemples :
pitoune_theriault> LES MECS VENAIT EN PV AVEC MOI ON VA SE FAIRE DU TRIPE
05/04/01 23h37
salon 10 - 14 ans#563


iseut4> 123_45> fais-moi ce pont pour que je puisse te rejoindre
iseut4> 123_45> en pv mec
iseut4> mdrrrrrrrrrrrrrrr
06/04/01 01h48
salon 40 ans et plus#420


Il s’agit ici d’une référence à un canal d’émission privé (« pv » en abrégé), qui, par son usage, qualifie donc aussi indirectement la nature des propos.
Par ailleurs, la représentation théâtrale, entendue comme « tout arrangement qui transforme un individu en un acteur » (Goffman, 1991 : 132) pose aussi clairement le statut déculpabilisé du spectateur [6] . L’on va voir que sur le chat, ce statut est plus ambigu.
Toujours selon Goffman, la caractéristique d’un acteur est qu’il « peut non seulement être regardé de façon prolongée sans être offensé mais doit être observé pour engager ceux qui le regardent en qui deviennent son « public » ». Cela est caractéristique car dans le face à face de la vie quotidienne « (…) l’on doit faire preuve au contraire de circonspection dans le regard qu’on porte sur autrui » (idem).
Sur les salons observés, le rapport entre le nombre de participants que nous qualifierons d’actifs (soit, ceux qui émettent des messages sur l’espace commun) et le nombre de participants total (limité à 35 par salon) est estimé approximativement à 1 pour 3. Même en sachant qu’on ne peut mesurer la part de l’activité en privé, et en prenant en compte la possibilité pour un même connecté de participer simultanément à plusieurs salons [7] , il faut admettre que l’engagement des participants est fortement variable [8] .
Mais s’ils sont probablement les plus nombreux, les spectateurs (c’est à dire les participants apparemment non actifs) ne semblent pas pour autant « sûrs de leur bon droit » : ainsi trouvent-ils généralement nécessaire de se justifier lorsqu’ils sont personnellement interpellés sur leur non participation :
iseut4> yeux-bruns> silencieuse et liseuse à ce que je vois
yeux-bruns> iseut4> je me suis absentée et je suis de retour
06/04/01 01h48
salon 40 ans et plus#420


Une petite expérience, plus proche de la rupture, a tenté de mettre en lumière cet aspect : sous le pseudo argneuuuuuuuu, nous apostrophons (utilisation des majuscules, du rouge) 4 participants apparemment non actifs : 2 choisiront l’évitement, (du propos et de l’énonciateur) et ne répondront pas (maritournelle, anousch25) ; 1 quittera le salon (allali_moustafa), 1 autre se justifiera en évoquant typiquement « une nécessité impérieuse » (annie_champlain). Notons l’intervention d’un tiers (residente), faisant allusion aux excès chocolatés des fêtes de Pâques…
argneuuuuuuuu> maritournelle> HOOOO ! TU REPOND OU KOI?!!!
residente> argneuuuuuuuu> elle a du mangé trop de chocolat...
residente> argneuuuuuuuu> et toi?
argneuuuuuuuu> moi j'ai rien à lire
residente> argneuuuuuuuu> ils doivent tous être rassasiés
argneuuuuuuuu> allali_moustafa> PK VOUS PARLER PAS?
argneuuuuuuuu> annie_champlain> PK VOUS PARLEZ PAS?
argneuuuuuuuu> anoush25> PK VOUS PARLEZ PAS?
annie_champlain> argneuuuuuuuu> mais j'ai ete au toilette un cas d'urgence
16/04/01 16h15
salon 40 ans et plus#564


À l’évidence, même si cette expérience n’est qu’illustrative, elle montre une certaine difficulté pour les spectateurs à assumer leur rôle.
Précisons également que le statut de spectateur est, de fait, préexistant à celui de l’acteur. Ainsi, comme le décrit Herz, « Rôder, c’est la phase larvaire dans le cycle vital d’un Nethead [9], d’une tête de net. Un stade voyeuriste, où l’on assume, sinon ses responsabilités, du moins la fascination de paître avec une bovine délectation sur les vertes pâtures du discours online… » (Herz, 1996 : 15)

·        La scène et les coulisses :

Pour caractériser le cadre théâtral, Goffman précise encore : « L’espace scénique où s’effectue véritablement la représentation et celui qui est réservé aux spectateurs sont en général deux territoires bien séparés » (1991 : 132). Sur le dialogue en direct de caramail, le dispositif détermine distinctement un lieu de l'action et des coulisses.

 

Considérons le lieu de l’action, la scène, comme le service de dialogue en direct matérialisé par la fenêtre commune des échanges. Et examinons plus en détail l’activité hors-cadre…
Les coulisses pourraient se définir comme « l’action avant ou après la scène, derrière elle, qui est incompatible avec elle la plu part du temps » (Goffman, 1991 : 215). Sur le dialogue en direct, l’attention devant être focalisée sur les échanges, d’une certaine façon, les coulisses comprennent toutes les actions de la vie réelle qui ne peuvent être menée conjointement. Et l’on note comme Verville et Lafrance que « tous les silences motivés par des activités hors-cadre, se doivent d’être clairement identifiés à l’écran… » (1999 : 203)
colonelfreezer> 2 mn / ravitaillement :!)
11/04/01 04h48
salon 30 - 40 ans#513


Le fil des cyberconversations s’interrompt donc régulièrement.
Exemple :
felinnoir> 2 secondes je reviens, ça s'affole a la cuisine
08/05/01 22h
40+ #915


Quand l’interruption est inexpliquée, elle suscite généralement un rappel à l’ordre…
1aakita> felineeeeeeeeeeeee
(…)
1aakita> feline.feline1> ?????, ca veux dir ekoi ca
(…)
feline.feline1> 1aakita> J EN SAIS RIEN JE JOUE AU CARTES A VEC MES FILS

16/04/01
salon 40 ans et plus#562

Il faut noter que les activités en coulisses peuvent servir également de support à des constructions collectives de discours, relativement rares au demeurant :
saint-hubert.nerval> 1aakita> moi je mange
1aakita> saint-hubert.nerval> bon appetit a toi
(…)
saint-hubert.nerval> 1aakita> merci
1aakita> saint-hubert.nerval> tu mange devant l'ecran? j'y crois pas!
(…)
saint-hubert.nerval> 1aakita> ben si
feline.feline1> saint-hubert.nerval> hi j'ai faim aussi
1aakita> saint-hubert.nerval> alors la tu me bats bravo
saint-hubert.nerval> 1aakita> j'ai les doigts tous gras c'est le poulet
1aakita> saint-hubert.nerval> mdr envois moi une cuisse
feline.feline1> saint-hubert.nerval> HI ATENTION AU DERAPAGE
taiso> saint-hubert.nerval> moi l'aile
saint-hubert.nerval> bonjour le clavier

16/04/01
salon 40 ans et plus#562


Ces coulisses ne sont pas la seule limite du cadre des échanges. À côté du canal principal de l’action, la fenêtre commune des échanges, existe un canal de superposition constitué par toutes les autres fenêtres (ou pages web) ouvertes simultanément. Ces messages sont transmis de façon dissociée mais sont sans lien direct avec l’activité principale. Certains s’apparentent toutefois à des signaux de direction dont Goffman nous dit que « … s’ils sont extérieurs au contenu de l’activité proprement dite, [ils] permettent néanmoins de la réguler, de la circonscrire, d’articuler et de qualifier ses différentes composantes » (1991 : 210). C’est le cas des fenêtres permettant de lister tous les membres du salons, tous les participants présents sur le dialogue en direct, tous les salons…

(Nous reviendrons plus en détails sur les éléments du canal de direction dans l’examen du matériel sémiotique).

Illustration 5 : l'activité hors-cadre



 

Reste que sur le chat, le degré d’observation d’un individu et son degré d’exposition ne sont pas indissociablement déterminés comme en face à face. Ainsi, les limites perceptives sont grandes, dans la mesure où la co-présence des interactants est situationnelle et non pas sensorielle (tout repose sur la lecture du texte) ; mais elles sont par ailleurs repoussées, au sens où tous les échanges sont indistinctement perceptibles par chacun des participants, qu’il en soit ou non le destinataire.
Examinons à présent, les supports de la présentation de soi sur le dialogue en direct.


- La présentation de soi

Composante fondamentale de la construction de l’identité sur le salon, la possibilité technique offerte aux connectés de se dégager des signaux corporels leur laisse toute liberté quant à leur auto-description. Outre la langue qu’ils emploient [10], les participants peuvent recourir à l’examen de trois éléments fixes pour interpréter la conduite de l’autre et ainsi « connaître à l’avance les limites à l’intérieur desquelles l’acteur va vraisemblablement se comporter » (Goffman, 1988 : 96) : le profil, l’A.S.V. et surtout le pseudo…


·        l’ASV et le profil :

Chacun des participants dispose d’un « profil » individuel, qu’il peut modifier à volonté et qui peut être consulté par les autres membres (illustration 6). Ce profil est pour partie constitué de l’Age, du Sexe et de la ville de résidence du connecté (l’ A .S .V .) (illustration 7). Précisons tout de même que ces informations sont facultatives : concernant le caractère sexué, on note même la possibilité pour le connecté de ne pas se déterminer (« je ne sais pas » ce qu’il faut comprendre comme : je ne veux pas le dire et par conséquent, vous ne le savez pas). Sur la liste des membres du salon, les participants s’étant désigné comme « garçon » apparaissent en bleu, les filles en rose, les « indécis » en jaune…

Illustration 6 : deux exemples de "profils" contrastés


 

Illustration 7 : L'A. S. V.

 

 

L’ASV constitue avec le profil un des rares supports de prévisibilité pour les membres. Les indications qu’il fournit, vraies ou fausses, constituent des connecteurs, des indices permettant la catégorisation sociale des autres participants. L’absence d’indications, totale ou partielle est parfois génératrice de troubles. L’environnement anonyme renforce en effet un sentiment déjà observé notamment par Lipiansky, dans son travail sur l’expérience groupale : l’intolérance manifeste à l’ambiguïté… « Celle-ci est souvent source de malaise et les participants y réagissent en essayant de rétablir des catégories dichotomiques. L’individu dont l’identité peut paraître ambiguë sous certains aspects est sommé de « choisir son camp » » (Lipiansky, 1992 : 83).
Plusieurs exemples illustrent cet aspect :
henri.claude> argneuuuuuuuu> moi j'aime bien parler à des gens qui ont un ASV
(…)
argneuuuuuuuu> henri.claude> Pourquoi stp?
(…)
henri.claude> argneuuuuuuuu> par ce que j'aime pas l'annonimat
(…)
argneuuuuuuuu> henri.claude> (pause) RIRES!!!!!
Vous avez été ignoré par henri.claude.

16/04/01 16h15
salon 40 ans et plus#564
Notons le caractère tautologique de l’explication d’henri.claude : de fait, cette dernière ne nous renseigne pas sur les raisons du trouble ; en revanche, il transparaît formellement. La conduite d’évitement se matérialise par la suite, officiellement, par un ultime et rapide recours au dispositif (« Vous avez été ignoré par… »).
Autre extrait d’une séquence d’observation participante, sur un salon 10-14 ans (nous intervenons sous le pseudo de poischiche00) : ici, l’on notera, malgré l’immatérialité des échanges, la réaction scriptée, elle aussi tangible, d’une jeune participante confrontée à l’impossibilité de procéder à la catégorisation sexuée de son interlocuteur. En l’absence de donnée, la stricte application de la règle grammaticale la conduit ainsi à s’imposer à elle-même, certaines précautions typographiques et orthographiques quant à l’accord des adjectifs en genre (les énoncés ont été soulignés).
clauclau34> poischiche00> fille ou gars!?!
(…)
poischiche00> clauclau34> ça dépend!!
(…)
clauclau34> poischiche00> hahahaha tres tres drole
(…)
clauclau34> poischiche00> serieux tes koi
(…)
poischiche00> clauclau34> qu'est ce que ça peut bien faire ce que je suis??!!!
(…)
clauclau34> poischiche00> ben je veux savoir putain
poischiche00> clauclau34> Putain??!!! ou ça?
(…)
clauclau34> poischiche00> laisse don faire
clauclau34> poischiche00> dabort si tu veux pas me dire si tes une fille ou un gars fais juste me dire ta quelle age stp
poischiche00> clauclau34> desole c encore trop demander
clauclau34> poischiche00> pfff
poischiche00> clauclau34>
clauclau34> poischiche00> tes pos fin(e)
(…)
clauclau34> poischiche00> allé sois gentil(le) et dis moi ta quelle age au moin ;op
(…)
poischiche00> vous ne saurez rien de moi!!!!

05/04/01 01h51
salon 10-14#579

Précisons que chacun compose avec cette identité fictive et l’absence éventuelle d’élément, pour se constituer au final, une vision toute subjective de l’« autre » : notre interlocutrice conclura ainsi notre échange par…
clauclau34> poischiche00> bye bye mon cowboys ;op
…que nous laisserons au lecteur le soin d’interpréter.

Il faut comprendre que ces éléments d’identité concourent également à alimenter les propos.
La séquence suivante montre trois mouvements successifs où, le contact ayant été établi (les salutations échangées) entre un membre, eurydice_la_douce, et trois autres participants, le lieu de connexion sert de première ressource de l’échange ; mais ce sujet se heurte ici à une réserve d’information, et cause la rupture rapide de l’engagement.

eurydice_la_douce> bhodisattva> salut
bhodisattva> eurydice_la_douce> bonjour comment va?
eurydice_la_douce> bhodisattva> vais tres bien et toi?

bhodisattva> eurydice_la_douce> ça va... d'ou viens tu?
eurydice_la_douce> bhodisattva> de la bas!
(…)
bhodisattva> eurydice_la_douce> avec ça je suis fixé! tu es au boulot?
(…)
samir1293> eurydice_la_douce> comment tu vas la douce
eurydice_la_douce> samir1293> vais bien merci et toi?
samir1293> tres bien tu es ou maintenant
eurydice_la_douce> samir1293> qque part! c'est pas important ou je suis!
samir1293> eurydice_la_douce> je suis curieux
eurydice_la_douce> samir1293> oui mais pas besoin de savoir ou je suis pour parler non?
samir1293> eurydice_la_douce> tu prends les choses tres compliquer
eurydice_la_douce> samir1293> nan justement!
samir1293> jje veu rien de toi mais seulement discuter avec toi
eurydice_la_douce> samir1293> ben ok discutions dans ce cas!
n.bella1> eurydice_la_douce> t'es d'où
eurydice_la_douce> bon je file un peu plus loin!

21/03/01 16h
Salon 30 - 40 ans#151 16h


Comme on aura pu le constater, le droit d’un participant à l’anonymat, s’il est acquis, n’en est pas moins souvent renégocié (et l’on note dans l’exemple précédent, les différents stratagèmes dont use eurydice pour typiquement « répondre sans répondre » à ce qu’elle pourrait considérer comme une « lésion de sa propriété intellectuelle » : la discrétion consistant à « ignorer volontairement tout ce que l’autre ne nous révèle pas expressément » Simmel cité par Goffman, 1974 : 19) . En effet, ce droit est aussi un devoir imposé à l’autre : celui de se départir de tous les repères catégorisant l’émetteur, pour n’exploiter que les ressources internes de la conversation.


C’est ainsi que certaines thématiques spécifiques favorisent sans doute cette participation anonyme : nous l’avons constaté sur le salon informatique par exemple. C’est aussi généralement le cas sur les salons abordant le thème de la sexualité.


Par ailleurs, l’importance relative des trois caractéristiques de l’ASV est aussi plus ou moins grande en fonction de ces mêmes thématiques. (Ainsi, l’on verra que l’âge est un critère central sur les salons du même nom, catégorisés par classes d’âges ; de même, pour le caractère sexué, sur le salon public « lesbiennes uniquement » qui regroupe quasi-exclusivement des participants s’auto-désignant comme « femme » (hormis ceux ne s’étant pas déterminés).
Que les informations fournies soit vraies ou fausses importe peu ici : l’on constatera simplement à la suite de Goffman, que « l’obligation de s’engager se définit en fonction de tout le contexte dans lequel se trouve l’individu » (Goffman, 1974 : 114)
Nous avons évoqué avec l’ASV et le profil, la forme dite « catégorielle » d’identification d’un individu par un autre (« … qui implique de placer l’autre dans une ou plusieurs catégories sociales » (Goffman, 1988 : 195)). Nous allons maintenant, avec le pseudo, examiner plus précisément la forme « individuelle » (« … par laquelle l’individu observé est rattaché à une identité unique et distinctive… » (idem.))

·        Le pseudo :

L’entrée sur le site de Caramail (accessible en théorie à des personnes majeures ou à des mineurs justifiant d’une autorisation parentale) implique l’ouverture d’un compte gratuit, protégé par un mot de passe. Ce compte ouvre une adresse E-mail, et permet entre autres, l’accès au dialogue en direct. Chaque connecté à un salon est automatiquement inséré dans les listes des participants, sous un pseudo équivalent au nom de référence du compte. Chacun dispose par ailleurs de la possibilité technique de se construire des « alias », des identités alternatives (à concurrence de 5 alias par compte). Ainsi, comme le note Reid (1991) « Our conventional presentation of self assumes that we cannot change the basics of our appearance. Physical characteristics, although open to cosmetic or fashionable manipulation, are basically unalterable. What we look like, we have to live with. This is, however, not the case on IRC. »


L’on constate qu’hormis l’indice de direction qu’il représente, le terme « pseudo », diminutif de pseudonyme, est employé ordinairement dans deux acceptions différentes :

 

 

 

 

Dans le premier cas, l’identité est perçue comme fictive en vertu notamment du principe de mutabilité du pseudo (alias) ; dans le second, plutôt comme une identité réelle, (d’ailleurs le virtuel ne s’oppose pas au réel, Cf. Levy) du fait de son imprescriptibilité (il ne peut a priori se perdre par le non-usage).
Il nous semble que cet antagonisme apparent trouve également un écho dans la prise de position méthodologique et éthique des chercheurs qui prônent la modification, quand ce n’est pas la suppression pure et simple, des pseudos lors de la publication des travaux. Cette démarche, qui n’a pas été le nôtre, dépend également du rôle et du poids accordés aux pseudos en terme de prévisibilité et d’ajustement interpersonnel : si l’on considère le processus d’échange linguistique comme centré sur le locuteur (Gumperz) ou sur l’énoncé. Dans une perspective interactionniste, il semble, ici, falloir considérer le pseudo comme porteur d’indices largement susceptibles d’influer sur les stratégies de comportement…
Quant à la transformation systématique des pseudos, elle se heurte à la condition de trouver une équivalence respectant le caractère symbolique, référentiel, voir poétique de l’original. Condition rarement remplie de façon satisfaisante. Pour en juger, ces quelques exemples : à gauche les originaux, à droite les équivalences envisagées…

 

 

 

De fait, tous les signes ASCII peuvent être utilisés pour créer son pseudo. Distinguons avec Poitou (lui-même à la suite d’Anis [11] ), 3 sortes de graphèmes :
- Les alphagrammes : les lettres
- Les topogrammes : les graphèmes ponctuo-typographiques (signes de ponctuation, espace inter-mots, majuscules)
- Les logogrammes stricto sensu (les signes non alphabétiques : @ # & % $ £… ; les chiffres et opérateurs mathématiques : 0 1 2 3 = - +… ainsi que les abréviations alphabétiques ) et quasi-logogrammes (sigles, qui font d’une séquence d’alphagrammes une unité globale)
(L’on pourrait ainsi évaluer individuellement les pseudos selon qu’ils sont constitués de plus ou moins d’alphagrammes et de topogrammes notamment, et selon la signifiance de leur association. Parmi les pseudos constitués d’alphagrammes, de loin les plus nombreux, les plus « transparents » pourraient être les patronymes supposés réels (margot_riehl, theoguilbaud), quant à ceux composés exclusivement de topogrammes, l’élaboration graphique la plus signifiante pourrait être illustrée ici par ).
Sans entrer dans le détail des catégories de pseudos constitués d’alphagrammes, notons outre les patronymes et les diminutifs : des références à des animaux (petit_poisson_rouge, zouby_la_mouche…), des traits de caractère réels ou attribués (be_girl_funny, ducon117…), des personnages imaginaires, existants ou ayant existés (v.dracula ; britney.spears83, robertbadinter ; marie_stuart1, john_lennon … ).
Nul doute qu’une étude approfondie serait en la matière instructive, elle ne pourra toutefois être menée ici essentiellement faute de temps.
Précisons que nombre de pseudos sont suivis d’un chiffre ou d’un nombre. Ces derniers sont, soit choisis volontairement par l’usager, soit attribués automatiquement par l’administrateur du site, pour distinguer deux pseudos par ailleurs identiques.
Les références collectivement partagées étant aussi collectivement exploitées, les variations sur un même pseudo sont diverses…
gaby.pop> devel_or_angel> cest pas comme ca quon ecris diable en englais cest devil
gaby.pop> devil
devel_or_angel> gaby.pop> je sais mais c qu il etait deja prit
gaby.pop> devel_or_angel> ha
05/04/01 01h51
salon 10-14#579

Ou encore :
diddl69> diddline_diddl> TU A COPIER
diddline_diddl> diddl69> tu aime diddl
(…)
diddl69> full_skate_in_a_life>OUI J ADORE ET TOI
(…)
diddline_diddl> diddl69> oui tu connais des site sur lui
05/04/01 23h37
salon 10-14#563
(Ici, l’examen du contexte de l’échange nous permet de noter par ailleurs une erreur de mention du destinataire sur le troisième énoncé full_skate_in_a_life pour diddline_diddl)

Comme l’ASV et le profil, nous notons que le pseudo possède cette propriété de susciter la conversation. Un connecté, à qui cette caractéristique n’a pas échappé a d’ailleurs souligné cette fonction « conative » dans son pseudo : le_pseudo_ki_fait_parler (la fonction « conative » selon Jakobson, est à l’œuvre « lorsque le destinateur s’efforce d’agir sur le destinataire » (Bachmann, Lindenfeld, Simonin, 1980 : 27)
Certaines références prêtent d’ailleurs à de nombreux jeux de mots ou à une présentation de soi plus originale…
obelix441> p!d
iseut4> obelix441> salut la Gaulle
obelix441>
(…)
obelix441> iseut4> salut a toi
obelix441> iseut4> tu es de quel planete
123_45> iseut4> bof je prefere les romains moi
iseut4> obelix441> alorss très cher le sanglier il était bon
06/04/01 01h48
40 ans et plus#420


mysteriousways> cerealkiller23>qu'est qu'un tueur ds un champs de blé?.................un cereal killer
19/03/01 15h30
salon blagues


De même que le patronyme, le pseudo peut-il être l’objet d’une contraction lors de son emploi par les autres participants (diminutif), à l’image d’un nom et prénom.
margot_riehl> be_girl_funny> salut
hevil_man> be_girl_funny> salut
(…)
be_girl_funny> salut ca va margot et hevil
14/03/01 14h30
salon 10 - 14 ans#47


prost2> je vai te detruire moi aussi manequin
manequin.lu> magic.rital> TA GUEULE
manequin.lu> prost2> TOI J TE CAUSSE PAS
14/03/01 15h06
salon 14-18
Précisons tout de même que dans les deux exemples précédents, le gain de temps dans la frappe de l’énoncé pourrait motiver essentiellement cet usage du diminutif.
Il faut considérer que toute assertion relative au pseudo, qu’elle soit positive [12] ou négative, touche à un objet sacré : la face. Par conséquent, toute altération volontaire du pseudo d’un connecté est une atteinte potentiellement grave, qu’il revient à l’offensé de manifester :


Deux exemples :
lemak15> mr.salade.de.fruits> salut face de concombre
(…)
mr.salade.de.fruits> lemak15> nan de fruit pffff
19/03/0115h18
salon 25 - 30 ans#113

just_a_try> anne-lise.lisou> tu vois! charles-henri est d'accord avec moi...
(…)
charles_legrand> just_a_try> merci pour le charles henry j'aime bcp

just_a_try> charles_legrand> si on peux plus rigoler
(…)
charles_legrand> just_a_try> mais si vas y je te takine
19/03/0115h18
salon 25 - 30 ans#113


Pivot de la présentation de soi, le pseudo est un support de prévisibilité pour les participants, dans un contexte marqué par une co-présence situationnelle et non physique.


larauffe> jean.besaloeil> au faite j'aime pas trop ton pseudo
larauffe> jean.besaloeil> tu aurais pu trouver mieux, non ?
jean.besaloeil> ha bien que veux-tu je suis arrivé avec
larauffe> jean.besaloeil> ca fait un peu je me la joue quoi !
larauffe> jean.besaloeil> tu dois etre parisien, non ?
jean.besaloeil> oui, tu as trouvé
larauffe> jean.besaloeil> tu m'ettone
larauffe> jean.besaloeil> j'aurais parié là dessus
larauffe> jean.besaloeil> on vous flaire de loin
09/04/01 00h
salon 40 ans et plus#468


Mais l’exemple suivant nous rappelle, si besoin était, que cette prévisibilité est fragile.
Zouby_la_mouche l’apprend ici à ses dépens…

zouby_la_mouche> seduisante_asiatique> ta gueule SALOPE
(…)
seduisante_asiatique> zouby_la_mouche> Je suis un mec connard!
(…)
zouby_la_mouche> seduisante_asiatique> bon ba ta gueule SALAUD quand on a un nom comme ça c con et PD
(…)
zouby_la_mouche> pokemon446> vive les vieux nom
14/03/01
salon 10 - 14 ans#48
Par ailleurs, chaque interprétation d’un pseudo, classifiante, doit être entendue comme socialement, culturellement marquée.
Le prochain exemple nous montre aussi que le pseudo est qualifié par certains de surnom :

15/03/01
salon 14-18 #140

Nous ne saurions conclure l’évocation des pseudos, sans insister sur les possibles implications négatives de l’environnement anonyme.


Le choix du pseudo étant, comme sur IRC, soumis au principe de l’unicité, l’on peut considérer à l’instar de Rheingold que la présentation de soi repose sur le postulat d’une identité artificielle mais stable « An artificial but stable identity means that you can never be certain about the flesh- person behind an IRC nickname, but you can be reasonably certain that the person you communicate with today under a specific nickname is the same one who used that nickname yesterday. (…) According to Reid, "The uniqueness of names, their consistent use, and respect for--and expectation of--their integrity, is crucial to the development of online communities." » (Rheingold, 1993).

Quelques remarques, toutefois :
Malgré l’unicité du pseudo, la multitude peut générer une certaine confusion.
nadia_k1> mimi2507> c t pas toi tout à l'heure qui ma parler ou je me trompe de MIMI?
14/03/01
salon 10 - 14 ans#47


… Et donner ainsi naissance à certains quiproquos.

L’exemple suivant est particulièrement explicite :
a.laddy> aigle100> papaaaaaaaaaa
aigle100> a.laddy> ?????????????
(…)
a.laddy> aigle100> t'es mon papa
(…)
aigle100> a.laddy> ah oui ca te tentes toi ce matin
(…)
a.laddy> aigle100> ben voyons tu me reconnais pas mon oiseau
(…)
aigle100> a.laddy> oui mais de la a faire ton pere loll pas si vieux que ca moi la
(…)
a.laddy> aigle100> oups je crois que je me suis trompé de personne désolée oups
aigle100> a.laddy> tu te trompes d oiseau surement
(…)
a.laddy> aigle100> oui c'est ça désolée encore
(…)
aigle100> a.laddy> oui tu es phoqué la hihi
(…)
a.laddy> aigle100> c'est qu'on rigole le soir avec un aigle et je l'appelle papa me suis trompée excuse moi
aigle100> a.laddy> oui t as pas a t excusser

16/04/01
40+#562

Par ailleurs, que deux usagers distincts exploitent un même pseudo est toujours possible :

- Soit dans le cadre d’une activité conjointe, explicite (conjugaison, pseudo lui-même) :
cple.mano.desi> recherchons pour pbm informaticien
16/04/01 16h15
salon 40 ans et plus#564


- Soit par usage abusif d’un pseudo existant [13] et le doute sur l’identité de l’émetteur ne peut alors être levé qu’à la condition que l’imposteur se démasque lui-même : l’exemple suivant peut laisser ici supposer une certaine collusion familiale.
kate.y> diddline2> salut comment tu vas je suis le frere de kate.y
(…)
sandrine_hello_kitty> ok
kate.y> sandrine_hello_kitty> ui je suis le frere de kate.y et j'ai 12 ans tu veux?
(…)
kate.y> alors y as t il quequn?je suis le frere de kate.y

05/04/01 23h37
salon 10-14#563


Le discrédit étant toujours possible, l’auteur de la supercherie peut aussi être pris en flagrant délit de mensonge:
meufdeloverman56> salut qui conner loverman56
(…)
bosse321> meufdeloverman56> moi
(…)
loverman56> bosse321> je te connais pas
21/03/01 14h08
10-14#113

Reste que « l’effet immédiat de l’environnement anonyme est de procurer aux utilisateurs une impression de sécurité » nous disent Verville et Lafrance, citant Reid (1999 : 199). Du sentiment de sécurité à celui d’impunité, il peut n’y avoir qu’un pas.
Et sans entrer dans une critique moralisatrice sans rapport avec notre travail, il nous faut toutefois souligner certaines dérives…
Au premier rang desquelles, les interventions à caractère exclusivement sexuelles, proférées par des intervenants sur des salons 10-14 ans, dont la maîtrise des expressions, de la syntaxe et de l’orthographe peuvent laisser à penser qu’ils ont dépassé le cycle scolaire élémentaire…Deux exemples enregistrés le même jour :

insaisissable> un petit depucelage?
(…)
craz_nana> insaisissable> tu na rien as faire le pedofile

05/04/01 23h37
10 - 14 ans#563

r2310> citronne.tu aime le sexe
citronelle_13> r2310> ben la g pas trop l'age
r2310> quoi
r2310> libelule_2> tu aime le sexe toi
libelule_2> r2310> t un conard
(…)
r2310> libelule_2> va te masturber
citronelle_13> r2310> criss va te faire foutrte toi
libelule_2> r2310> suceur de chamaux

05/04/01 23h37
10 - 14 ans#563


Par ailleurs, l’on note que tous les participants ne sont pas égaux en matière de maîtrise de l’outil informatique. C’est ainsi que certains parviennent sans difficulté, grâce au numéro I.P. des utilisateurs, à s’introduire dans la boîte de réception de leurs interlocuteurs, et divulguer ainsi des informations supposées confidentielles (on peut d’ailleurs légitimement se demander dans l’exemple précédent pourquoi citronelle_13 interpelle r2310 par « criss »). Plusieurs exemples illustrent cette faille du système (pour des raisons évidentes, les noms réels des utilisateurs ont ici été remplacés par XXXX) :
Le premier met en présence trois participants, dont deux (je_parle_a_un_con et max5555), ligués contre le troisième (rej33)


je_parle_a_un_con------------l> rej33> tu m'as l'air bien con toi XXXX :OD
rej33> max5555> good encore cest le fun
(…)
max5555>
je_parle_a_un_con------------l> en plus il adore cet idiot.peu etre quil croit quon va se faire virer
je_parle_a_un_con------------l>
max5555> mdr
(…) [départ de rej33]
je_parle_a_un_con------------l>
max5555> si t'avais vu ce ke j'ai vu dans sa boite mdr
je_parle_a_un_con------------l>
max5555> kel vieux salopard
je_parle_a_un_con------------l>
:OD
max5555>
je_parle_a_un_con------------l> quest ce quil y a?
je_parle_a_un_con------------l>
max5555> des fotos de bites mdr
je_parle_a_un_con------------l>
max5555> il a l'air pd comme un phoque
je_parle_a_un_con------------l>
max5555> ya des gamines aussi
max5555>
je_parle_a_un_con------------l> il a vraimen tt les defaut ce pauvres gars
je_parle_a_un_con------------l>
max5555> il est parti le con il a eu peur mdr
max5555>
je_parle_a_un_con------------l> des gamines c vrai?
je_parle_a_un_con------------l>
max5555> oui 15 ans au plus ça craint!!!!!
max5555>
il faut quoi comme programme pour aller sur sa boite?
je_parle_a_un_con------------l>
max5555> euhhhhh je sais plus :OD
Nous ne saurions ici distinguer la part du vrai de celle du faux, et vérifier la véracité des propos tenus. Toutefois, la divulgation du patronyme réel, quand elle est exploitée par l’un, est rarement contestée par l’autre sur le fond, malgré de vives protestations sur la forme…
taz_99991> salut les petits vieux
123_45> taz_99991> salut marie
taz_99991> 123_45> qui sa
123_45> taz_99991> melle XXXX marie
123_45> taz_99991> c'est pas toi? XXXX marie?
taz_99991> 123_45> pk tu sa voire sa
123_45> taz_99991> je connais ta maman
(…)
123_45> taz_99991> retourne vite dans ton salon et on oubie
taz_99991> 123_45> TES QUI TOI AVANT)
123_45> taz_99991> interessante ta boite de reception
taz_99991> 123_45> FERME LA
yeux-bruns> taz_99991> agressive Mlle
123_45> taz_99991>XXXX marie
123_45> yeux-bruns> si sa maman savait....
yeux-bruns> 123_45> le sait-elle?????
iseut4>
123_45> diss-moi cee qui se passe
123_45> yeux-bruns> ben non
iseut4>
grrrrrrrrrrrrrrrrrrrr
123_45> iseut4> rien, je voulais juste qu'elle nous laisse tranquilles
taz_99991> 123_45> SES KOI TON NOM
123_45> iseut4> je ne la connais pas
iseut4>
bieen qque veeux ddire cette cohue de femelle
123_45> taz_99991> tu veux apprendre a ejecter? comme ca tu embeteraqs mieux?
taz_99991> 123_45> SI TES CAPABLE DE DIRE MON NOM TES CAPABLE DE DIRE LE TIEN

(…)
06/04/01 01h48
40+#420
Nous venons de procéder à la description du dispositif et du cadre des interactions sur le dialogue en direct de Caramail ; nous avons pour ce faire, évoqué la notion de représentation et de présentation de soi. À la suite de Rheingold nous pourrions ainsi résumer l’ensemble, par cette formule lapidaire mais assez juste : « everyone is on stage who wants to be, everyone is the audience, and everyone is a critic. »
Abordons maintenant la question de la variation du modèle conversationnel, en nous focalisant sur les échanges. Nous nous attacherons d’abord à la description des différences sémiotiques, avant d’examiner plus en détail l’organisation de ces mêmes échanges à travers le fonctionnement du tour de parole, ainsi que l’examen de deux moments fortement empreints de rituel en face à face : l’ouverture et la clôture de l’interaction.

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[1] … non sans une pointe de malice… Comme le décrit Herz "seuls les pseudos cyberpunks utilisent le préfixe "cyber" sans ajouter aussitôt une grimace de dérision." (Herz, 1996 : 336)

[2] Les smileys, ou icônes des émotions (Cf. Infra : variation du modèle)

[3] V. Traverso (1996 : 9) nous rappelle la définition de ce terme, utilisé par Hymes "Ce terme s'applique au moment et à l'endroit où se déroule l'acte de parole et d'une manière générale, à tout ce qui le caractérise".

[4] Cf. Goffman, 1991 : 133 et suiv.

[5] ASV : Age Sexe Ville

[6] spectateur : "toute personne qui, devant une activité quotidienne, y jette un oeil sans se cacher" (Goffman, 1991 : 138)

[7] L'internaute est par nature ubiquiste

[8] E. Wolff dans une étude intitulée « pratiques médiatiques et identité familiale à la Réunion » constate un usage socialement différencié du média télévisuel, et distingue d’une part, une TV « de stock », (usage relativement circonscrit dans le temps, TV dite « apprenante »…) d’autre part, une TV « de flux » (branchement constant, pratique distrayante…). L’on pourrait envisager un telle dichotomie concernant l’usage d’Internet sur la base du contrat d’accès choisi par le connecté… On peut en effet supposer (en l’absence d’études sur la réception) qu’une connexion forfaitaire illimitée incite à un usage « de flux » (la rentabilité financière du contrat lui étant inhérente). Ainsi, le dialogue en direct peut-il, de même, être plutôt envisagé comme un pur canal secondaire de distraction, ou-et comme un canal d’activité principale, temporairement ouvert, et requérant un engagement certain.

[9] "Nethead ; litteralement "tête de net"; individu totalement sous la fascination de ce nouveau moyen de communcation" (Herz, 1996 : 345)

[10] généralement le français, mais l’usage de l’arabe, de l’italien ainsi que des langues créoles est aussi attesté… La liste n’est certainement pas exhaustive

[11] Ref. citée Anis, Jacques, 1989. « De certains marqueurs graphiques dans un modèle linguistique de l'écrit. » DRLAV-Revue de Linguistique 41 : 33-52.

[12] l’essentiel des échanges complimenteurs porte d’ailleurs, selon nos données, sur le pseudo

[13] Même si l'administrateur affirme la chose impossible…