CONCLUSION :
Il nous faut souligner
en conclusion l’importance des facteurs historiques et des procédés
technologiques dans l’évolution des pratiques, quand ce n’est
pas dans l’analyse elle-même. De fait, jusqu’à l’arrivée
des techniques d’enregistrement, nous ne possédions de matériaux
oraux que sous forme écrite (cf. Goody : 93). Kerbrat-Orecchioni,
évoque même une « révolution du magnétophone »
en linguistique comparable à celle de l’utilisation du microscope
en biologie (1998a: 46)
De par le fait qu’il combine les caractéristiques des médias traditionnels (le texte des journaux, l’oral de la radio, l’image fixe ou animée de l’affichage, de la télévision ou du cinéma) ; qu’il y associe le synchronisme du téléphone (sans la nécessaire interconnaissance ou relation de service généralement liée à son utilisation), et donc l’interactivité, Internet peut être qualifié d’hypermédia. Mais son usage est encore en cours d’appropriation, 13 ans après l’implantation par l'informaticien finlandais Jarkko Oikarinen du protocole de communication synchrone et multipolaire que constitue l'« Internet Relay Chat » (IRC).
L’usage de l’outil informatique, préfiguré par celui des médias en général est réinventé par l’appropriation collective et interactive du support de communication. C’est ainsi que la cyberculture n’est pas « la culture des fanatiques d'Internet » pour reprendre l’expression de Levy mais bien la rencontre de l’humanité avec elle même1, la matérialisation d’un « universel sans totalité » (idem.) . En ces temps troublés sur le plan de la politique internationale, l’individu assiste par les médias d’information traditionnels à des événements désormais en quasi-direct, et peut dans le même temps, confronter son opinion à celle d’un autre que lui, ayant vécu ce même évènement à des milliers de kilomètres de là, par des moyens médiatiques similaires. Le simple fait, non pas de savoir que cette autre opinion existe mais de le constater de visu est en soi révolutionnaire. L’approche des sciences humaines ne peut que s’en trouver bouleversée.
Mais il ne faudrait pas tomber dans le piège de l'angélisme : cette ère communicationnelle ouvre aussi la voie à de nouvelles solitudes interactives :
Comme le remarque Wolton, le symbole de cette montée en puissance des solitudes interactives se voit dans l’obsession croissante de beaucoup, d’être continuellement joignables (…) A contrario, on voit se dessiner d’étranges angoisses, celle de ne pas être assez appelé, ou de ne pas recevoir de courrier électronique » (1999 : 107). Les exemples empiriques de ces hantises post-modernes étant suffisamment rares pour être soulignés, nous ajouterons à cette liste d’angoisse, la crainte d’être mis à l’écart. Illustration extraite d’une séquence de rupture :
retho7> poischiche00> et oui pas comme toi tu na personne a qui parler
15/04/01
10-14 ans #563
L’on peut dresser, pour conclure, quelques perspectives sur l’utilisation d’Internet en matière de relations humaines et de normes langagières.
Deux visions opposées s’affrontent, qui ne sont d’ailleurs pas totalement dénuées d’a priori.
On évoque ainsi, le risque de substitution des relations réelles par les échanges virtuels. (Philippe Breton évoque ainsi une société « de plus en plus communicante et de moins en moins rencontrante »). D’autre, comme Levy dans son rapport au conseil de l’Europe (1997 : 151), souligne au contraire qu’il est rare que la communication par réseaux informatique se substitue purement et simplement aux rencontres physiques, mais qu’elle en est un complément ou un adjuvant.
L’autre inquiétude concerne les normes langagières. A. Rey, linguiste, évoque notamment une « prime à l’illettrisme » concernant l’écrit phonétique des messages texto, échangés via les téléphones portables, qui comportent de nombreuses similitudes avec le parlécrit du chat. Il convient sans doute d’être prudent en matière de prospective, les choses évoluent rapidement… En revanche, on peut sans doute constater une certaine désacralisation de l’écriture, (Anis, 1998), longtemps considérée comme élitiste et intellectuelle : on assiste aujourd’hui à la construction de nouveaux codes communicatifs, à la popularisation, l’appropriation par les acteurs d’un nouveau mode de communication, et c’est, en soi, une chance rare pour tous les chercheurs en sciences humaines.
1 Levy, P. dans une interview au journal le temps (Genève, 22 février
2001) consulté en ligne en septembre de la même année
sur http://www.archipress.org/press/levy.htm