PARTIE 3 :

L'EMERGENCE D'UN NOUVEAU MODE DE L'INTERACTION ?

 


               Nous avons jusqu’alors procédé par « empirisme descriptif » : cela ne doit pas pour autant nous faire renoncer à « toute exigence de généralisation, de théorisation, voire de formalisation : les faits ne sont descriptibles qu’à l’aide d’outils et de modèles (…) » (Kerbrat-Orecchioni, 1998a : 46). Nous tenterons donc l’approche d’une modalisation ludique, après avoir procédé à l’examen des échanges les plus fortement empreints de rituels en face à face : l’échange réparateur et l’échange complimenteur. Nous abordons maintenant le versant quantitatif de ce travail.

 

I Étude de deux échanges rituels :

 

Selon Goffman, les manifestations les plus visibles de l’activité cérémonielle « sont sans doute les salutations, les compliments et les excuses qui ponctuent les rapports sociaux. » (Goffman, 1974 : 54). Nous avons déjà évoqué dans la première partie de ce travail, les modalités de salutations. Traitons maintenant des échanges réparateurs et complimenteurs.

 

            -  Échanges réparateurs :

 

Nous allons tenter ci-après d’élaborer une grille d’analyse typologique des échanges réparateurs, applicable à notre objet d’étude : les salons textuels de bavardage en direct sur Internet.

 

Les infractions au comportement correct nous fournissent, en effet, « l’occasion d’étudier les genres de présupposés qui sous-tendent le comportement interactionnel adéquat » (Goffman, 1988 : 97). C’est ainsi que, par l’examen systématique des activités réparatrices, nous pourrons établir l’inventaire des délits conversationnels au sein de la communauté virtuelle caramail, et dégager ainsi, « a contrario les règles du savoir-converser » (Kerbrat-Orecchioni, 1998b : 156).

 

« À l’écoute de ces dissonances [incident, fausse note], le sociologue peut porter des généralisations sur ce qui fait que les interactions avortent et, par implication, sur les conditions nécessaires à leur bonne marche. En même temps, il en retire la confirmation de ce que toutes les rencontres appartiennent à une classe naturelle unique et se laissent analyser sur le même canevas. Par qui l’incident embarrassant est-il causé ? Vis-à-vis de qui est-il embarrassant ? Pour qui l’embarras est-il ressenti ? (Goffman, 1974 : 89) »

 

La notion d’embarras sera pour nous centrale dans la dénomination et la séquentialisation des échanges réparateurs. Aussi, jugeons nous nécessaire un bref rappel terminologique. Goffman, considérant l’embarras et l’organisation sociale, distingue deux sortes de circonstances à l’origine du trouble : d’abord, « un individu peut perdre la tête alors qu’il est engagé dans une tâche qui, par elle-même, n’a pas pour lui une importance particulière si ce n’est qu’il est de son intérêt général de l’exécuter avec sûreté, compétence, diligence et qu’il craint de ne pas être à la hauteur . Il ressent un malaise dans cette situation et non pas vis-à-vis d’elle. (…) L’absence de spectateur n’y change rien et cela est significatif. » (Goffman, 1974 : 88). Par ailleurs, l’embarras peut être « en rapport avec le personnage que l’on se taille devant ceux dont on ressent la présence à un moment donné. (…) Cet ensemble des personnes présentes, aux contours fluctuants, constitue un groupe de référence d’un importance extrême. ». (idem).

 

Cette notion d’embarras est entendue ici au sens extensif, l’émoi provoqué par ce genre de situation n’est pas manifeste physiquement, mais il peut être ressenti comme un malaise général, comme « quelque chose qui ne va pas ». Nous considérons que l’embarras est symptomatique des situations réparatrices, et c’est à ce titre que nous avons procédé à leur examen systématique.

 

Selon Goffman, la fonction de l’activité réparatrice est de « changer la signification attribuable à un acte, de transformer ce qu’on pourrait considérer comme offensant, en ce qu’on peut tenir pour acceptable » (Goffman, 1973 : 113). Le but étant de « rétablir l’équilibre rituel » de l’interaction.

 

Nous limiterons la notion de réparation à sa forme verbale (l’excuse, à caractère symbolique) en englobant les procédés visant, tant la neutralisation des offenses, que les situations de rupture de communication. Les « speech errors » semblent en effet particulièrement prêter à réparation dans le contexte du TextTalk, où l’intercompréhension demeure toujours un état fragile.

 

Précisons également que l’« on ne peut faire que ce qui a eu lieu ne soit pas advenu » et que « les offenses verbales sont à proprement parler irréparables » (Kerbrat-Orecchioni, 1998b : 150).

 

Avant d’aborder les résultats finaux, qu’il nous soit permis d’exposer brièvement quelques impressions forgées au cours de nos observations.

 

Selon la description Goffmanienne, l’on dénombre quatre mouvements classiques de l’échange réparateur : (Goffman, 1974 : 21-23)

-       La sommation (émanant de l’offensé ou des tiers)

-       L’offre de réparation (émanant généralement de l’offenseur)

-       L’acceptation (émanant de l’offensé)

-       Le remerciement (émanant de l’offenseur)

 

Et, « le plus souvent, l’offenseur s’empresse de présenter ses excuses » (Goffman, 1974 : 24).

 

Est-ce lié à la propension de l’individu à s’opposer aux règles de l’ordre social, propension elle-même plus ou moins contingente du contexte, physique ou virtuel, de l’interaction ?… Reste que, sur le chat, les excuses semblent peu fréquentes (sans parler de la phase des remerciements de l’offenseur qui, elle, paraît inexistante [1] ).

 

Si cette tendance se confirmait, plusieurs raisons causales pourraient l’expliquer :

 

  1. Le choix de la formule d’excuse, voire-même, le choix d’une éventuelle formulation de l’excuse, dépend de l’intentionnalité et de la gravité de l’offense commise. L’excuse doit en effet se conformer au « principe d’équilibre » décrit par Brown et Levinson. Or, dans les cas fréquents, d’offenses graves et délibérées, telles les injures, toute excuse est par définition suspectée d’insincérité. Ce type d’offenses est, comme nous l’avons dit à la suite de Kerbrat-Orecchioni, « à proprement parler irréparable ».

 

  1. Par ailleurs, « un certain nombre d’études confirment que les excuses sont à la fois plus fréquentes et plus insistantes en relation distante qu’en relation familière » (Kerbrat-Orecchioni, 1998b : 176). La conception de l’interaction interpersonnelle sur les chats se fondant sur une vision égalitaire et communautaire (en terme d’idéal interactionnel), il ne serait pas surprenant que les excuses se révèlent effectivement limitées en nombre.

 

  1. En outre, l’on sait qu’en face à face, « la tolérance à l’offense diminue en proportion de sa réitération : c’est là un trait fondamental du rituel réparateur » selon Goffman, (1973 : 161). Mais il faut par ailleurs prendre en compte le risque d’offense potentielle lié à la multiplicité des locuteurs : plus les risques d’offenses sont nombreux et distincts (indépendamment de leur gravité), plus la tolérance augmente. La parade usitée sur le chat consiste généralement à ignorer l’offenseur, quitte à mentir par omission ou à nier « par in-expressivité » la réalité et la gravité de l’offense commise.

 

D’où la difficulté à mesurer le degré de tolérance aux offenses de la communauté.

 

            Nous avons dit précédemment que peu d’excuses semblent formulées sur le chat, malgré l’apparente gravité de certaines infractions. Nous faisions référence aux offenses de contenu. Il en est d’autres, portant sur la forme des énoncés, qui aboutissent plus fréquemment à réparation, tout au moins à reformulation. Il s’agit de tous les ratés, omissions, inversions involontaires de lettres ou graphèmes, susceptibles de mettre directement en péril l’intercompréhension des locuteurs.

 

C’est ainsi que la première règle du « savoir-converser » au sein du salon, semble être le « savoir-coder » (et son corollaire, le « savoir-décoder »).

 

            Enfin, et ce sera notre ultime remarque, il nous faut prendre en compte, outre les excuses (du fait de leur relative rareté), ce que Goffman qualifie de phase de « sommation », et que nous désignerons ici plus généralement « demande de réparation ».

 

En effet, pour Kerbrat-Orecchioni, 1998b : 152), la structuration générale de l’échange réparateur comporte trois composantes :

 

  1. L’offense (commise par l’offenseur à l’égard de l’offensé)
  2. La réparation (produite par l’offenseur)
  3. La réaction à la réparation (émanant de l’offensé)

 

Auxquelles on doit ajouter trois variantes :

  1. La permutation (l’excuse devance l’offense)
  2. L’ellipse de réaction à l’excuse
  3. L’insertion, entre l’offense et la réparation, d’une demande de réparation par l’offensé. Soit, l’ajout d’une complainte.

 

Dans ce dernier cas, « la victime attire l’attention sur la nécessité de réparation du dommage effectué » (Kerbrat-Orecchioni, 1998b : 160). L’on approche ici la conception goffmanienne de la sommation, « par laquelle les participants prennent la responsabilité d’attirer l’attention sur la faute commise et indiquent par implication, qu’ils entendent rester fermes sur les droits mis en danger et exigent un retour à l’ordre » (Goffman (1974) : 21).

 

Nous distinguerons essentiellement entre ces deux notions, une divergence quant à la qualité du locuteur (d’une part, victime, de l’autre, participant). Mais il nous faudra également distinguer les victimes directes des actes offensants, nommément visées, des victimes indirectes, qui, soit du fait du caractère collectif de l’offense, soit du fait de leur identification à l’offensé, en subissent collectivement ou indirectement les conséquences. Les participants sont assimilés à des tiers, extérieurs au conflit. Nous admettrons que dans les deux conceptions, les objectifs sous-tendus par l’énonciation (la complainte ou l’injonction) sont suffisamment approchants pour ne pas être distingués.

 

Kerbrat-Orecchioni nous invite à considérer cette composante (complainte-sommation) « comme ajoutée lorsqu’elle est présente plutôt que comme élidée lorsqu’elle est absente » (1998b : 160), soulignant ainsi son caractère très facultatif : « Although the acts complaint/apology resemble an adjacent pair, one may occur without the other » (Owen cité par Kerbrat-Orecchioni, 1998b : 160).

 

Toutefois, le nombre de ces ajouts nous paraissant significatif dans le cadre du dialogue en direct de Caramail, nous avons choisi de les intégrer à notre grille d’analyse de l’échange réparateur, qui se fonde donc, en partie, sur le modèle de Goffman et celui de Kerbrat-Orecchioni. Ci-dessous, un rappel comparatif de ces deux schémas :


 

Notons que Kerbrat-Orecchioni intègre l’offense, en tant que « préalable à l’échange réparateur proprement dit » (1998b : 152), tandis que Goffman, en évoquant la phase « classique » du remerciement de l’offenseur, décrit un usage et des pratiques probablement moins usités de nos jours (si l’on considère que la déférence et la politesse sont des règles sociales intimement liées à leur époque : ainsi, comme le note Goffman : « Il faut bien comprendre que des institutions structurellement semblables peuvent présenter des styles entièrement différents quant à la déférence, et que de tels modèles sont en partie une affaire de mode » Goffman, 1974 : 58)…

 

Nous opterons pour notre part, pour une grille d’analyse fondée sur quatre mouvements :

 

1.    L’offense

2.    La demande de réparation ou sommation

3.    La réparation

4.    La réaction à l’excuse

 

Nous allons maintenant nous attacher à les décrire successivement :

 

L’OFFENSE :

 

Pour chaque situation d’offense, nous tenterons de distinguer l’intention, la responsabilité, la manifestation, la cible et la désignation de l’énoncé.

 

Nous la qualifierons d’abord selon son caractère :

 

-       Délibéré ou involontaire :

 

Dans le cas d’une offense inintentionnelle, (soit une offense de type formel, nous y reviendrons), « les spectateurs peuvent estimer que son auteur, s’il avait prévu les conséquences de son acte, s’en serait abstenu. Dans notre société, on appelle cela un faux-pas ou une gaffe. » (Goffman, 1974 : 17)

 

Dans le cadre du TextTalk, il ne peut guère s’agir que de ratés, de bévues lexicales, et autres constructions fautives. Tout acte offensant, réitéré ou réalisé en dépit de conséquences prévisibles, sera qualifié d’intentionnel ou de délibéré. Nous attribuerons le qualificatif de « fortuit » aux offenses considérées comme des «  sous-produits non désirés mais parfois prévus d’une action accomplie en dépit de telles conséquences » (Goffman, 1974 : 17). C’est typiquement le cas de la clôture des interactions qui fait parfois l’objet d’excuses exprimées par l’individu sur le départ.

 

 

            -    Selon le genre de responsabilité (singulière ou commune) engagée dans l’acte offensant (parole en acte) (l’absence de réponse à des salutations peut ainsi être considéré comme relevant d’une responsabilité commune à l’ensemble du groupe de locuteurs).

 

Ce critère de responsabilité ne doit pas être confondu avec le ciblage, même si dans les deux cas, l’on distingue une action isolée d’une action groupale.

 

-       Individuel ou collectif :

 

Selon que l’offense prend pour cible nommément un locuteur, ou qu’elle s’adresse à l’ensemble des participants (c’est le cas par exemple de l’émission de messages multiples [2] ).

 

-       Verbal ou non-verbal :

 

Cette distinction, apparemment abusive dans un salon de discussion textuel, s’est imposée par la constatation que si « dire est la norme », « ne rien dire », peut-être, dans certaines situations particulières, un acte offensant. C’est en particulier le cas, lorsqu’un individu est « ignoré » par un autre, soit involontairement, soit volontairement, par le biais d’une touche de fonction de la fenêtre du dialogue.

 

            Nous distinguerons ensuite les offenses dites « de forme » de celles dites « de contenu » :

 

Les premières concernent les ratés, étudiés par Goffman dans Façons de parler (1981), les violations volontaires ou involontaires du tour de parole et de tout autre composante du système conversationnel (l’absence de désignation du destinataire par exemple). Mais aussi, et plus typiquement sur le chat, les smileys (il nous faut envisager cette possibilité) et l’émission de messages multiples.

 

Les secondes portent sur la transgression des lois du discours (pertinence, exhaustivité, informativité) ou, plus généralement, sur tous les « Face Threatnings Acts » (F.T.A.s). Ces derniers sont subdivisés selon qu’ils mettent en danger la face positive ou négative de l’illocuteur ou de l’illocutaire.

 

LA DEMANDE DE RÉPARATION (émanant de l'offensé) OU SOMMATION (émanant d'un tiers) :

 

La complainte vise à attirer l’attention sur la faute commise.

 

- Elle peut être explicite ou implicite, selon que la demande de réparation porte explicitement sur des excuses ou qu’elle se réduise à une simple plainte, protestation ou reproche.

 

-       La réaction à la complainte est de type positif ou négatif :

 

Soit l’offenseur refuse de s’amender (réaction de type négatif), et il adoptera alors une conduite d’évitement (de fuite) ou répliquera par une protestation. Ce refus risque dans tous les cas de provoquer « une négociation plus ou moins laborieuse et violente sur l’opportunité de la réparation » (Kerbrat-Orecchioni, 1998 : 161). Goffman évoque lui, des « représailles brutales » ou « le retrait des indignés, sûrs de leur bon droit » (1974 : 21).

 

Soit l’offenseur obtempère (réaction dite positive), et l’on débouche alors sur la phase réparatrice…

 

LA RÉPARATION :

 

-       Type verbal ou symbolique :

 

Nous n’envisageons sur le chat de réparation symbolique, que dans le cadre de la réalisation de « smileys réparateurs ». Cette possibilité n’a toutefois, pour l’heure, jamais été vérifiée. Nous entendons par réalisation verbale de la réparation, ce que l’on appelle communément les « excuses [3]  ».

 

-       Réalisations explicites et réalisations implicites :

 

Nous distinguerons l’acte de demande de pardon (la réalisation explicite) de l’acte de justification de l’offense (la réalisation implicite) [4] . Précisons que ces deux composantes peuvent être réalisées conjointement.

 

Par ailleurs, nous reprenons ici la terminologie de Kerbrat-Orecchioni qui mérite une précision : le caractère explicite ou implicite de l’énoncé réside uniquement dans le degré de réalisation de l’excuse, (qualifiée d’explicite lorsque la demande de pardon est exprimée, et que l’offenseur fait « amende honorable », d’implicite lorsque seules des justifications à l’offense sont évoquées) et non dans sa formulation en tant que telle.

     

La demande de pardon (réparation explicite) peut ainsi prendre la forme :

 

§       D’un énoncé à l’impératif (« excusez moi »)

§       D’une expression performative ( « je vous demande pardon »)

§       Ou d’une variante : Elliptique (« pardon ! »), emphatique ( «  je vous présente mille excuses ») et/ou insistante (une requête d’acceptation pour les excuses est formulée) (« Acceptez mes excuses pour ce retard » ).

 

Notons que selon Kerbrat-Orecchioni, les formules qui accomplissent explicitement l’acte d’excuse « sont semble-t-il d’un usage relativement rare » (1998b : 164).

 

La justification de l’offense (réparation implicite) se décline sous trois formes :

 

§       La description d’un état d’âme approprié («(je suis) désolé », « navré », « confus »…)

§       La justification : par des contraintes imprévisibles ou au contraire une nécessité impérieuse, au nom d’un intérêt supérieur. On peut plaider l’ignorance, l’imprévoyance ou encore l’irresponsabilité, voire rejeter sur autrui la responsabilité de l’offense (« C’est pas moi, c’est l’autre qui… »).

§       La reconnaissance de la faute :

-Exprimer l’idée de la culpabilité (« c’est de ma faute »)

-Reconnaître le droit de la victime à se sentir offensé (« tu as raison d’être fâché »)

-Spécifier la nature de l’acte commis (« j’ai cassé le verre »)

 

Notons, là encore, les possibilités de cumul des différentes options…

 

Avant d’aborder l’ultime phase de l’échange réparateur (la réaction à l’excuse), précisons la « condition de félicité » (Goffman, (1981) 1987 : 205-273).

 

L’offensé doit :

-       Admettre qu’un acte offensant a été commis à son encontre

-       Savoir que l’énonciateur de l’excuse est responsable de l’offense

-       Lui accorder le bénéfice du doute quant à la sincérité de sa repentance.

Ces conditions réunies, l’échange réparateur peut aboutir pleinement…

LA RÉACTION À L’EXCUSE :

 

            Elle peut prendre une forme positive ou négative : dans le premier cas, « l’offensé accepte la réparation et octroie le pardon, explicitement ou implicitement » (Kerbrat-Orecchioni, 1998b : 179), ce qui a pour effet de restaurer l’équilibre rituel. Dans le second, la réparation est rejetée, le pardon n’est pas octroyé par l ‘offensé et l’on aboutit à une crise de l’interaction.

 

-       Réaction positive : explicite (le pardon est octroyé et verbalisé) ou implicite (minimisation, dénégation de la responsabilité de l’offenseur ou de l’existence même de l’offense)

 

-       Réaction négative :

§       Confirmation de la réalité de l’offense

§       Mise en cause de la sincérité de l’offenseur

§       Contestation de la justification

§       Expression de colère

 

Le choix d’une stratégie appropriée implique ce que Vollmer et Olshtain (1989 : 198-9) appellent « a delicate balance » entre le coût de l’excuse et le bénéfice que l’on peut en tirer (Kerbrat-Orecchioni, 1998b : 191).

 

La solution choisie est généralement la plus conforme aux intérêts de l’interaction et des interactants nous dit Goffman. « L’indulgence est une exigence quasi constante » (Goffman 1988 : 102) Par ailleurs, l’étendue du domaine des offenses est fonction du degré de sensibilité des faces des partenaires sociaux » (Kerbrat-Orecchioni, 1998b : 193).

 

Sur les salons textuels de dialogue en direct, les offenses apparaissent souvent comme plus graves qu’en face-à-face au regard de leur genre (les insultes par exemple) et de leur fréquence, mais aussi comme moins dangereuses pour la face de l’offensé, qui ne subit pas physiquement et publiquement le poids de l’embarras.

 

L’objectif étant de maintenir le flux des conversations, les locuteurs privilégient, autant que faire se peut, le compromis de travail. « Le fait même de la co-responsabilité dans la construction de l’interaction impose pour les interactants qui s’y engagent de rechercher un accord, même provisoire, même illusoire, même plus ou moins réel » nous rappellent Bachmann, Lindenfeld et Simonin, 1980 : 130)… Toutefois, quand l’intention de l’offenseur est manifestement de porter atteinte à la face positive de l’offensé [5] , aucune réparation ne peut être satisfaisante. Si aucun des deux locuteurs en présence ne choisit la fuite, c’est la logique du duel qui s’impose : s’engage alors une joute oratoire. Notons que du fait du caractère infini d’une telle entreprise, il n’est pas exclu que ces échanges enflammés constituent une forme singulière de « ressources sûres »… 

 

Nous avons résumé l’ensemble des critères de l’échange réparateur sous forme de tableaux (ne pas voir de hiérarchie dans leur construction, ils n’ont qu’un objectif de synthétisation). Ci-après les quatre phases classiques : l’offense, la complainte, la réparation et la réaction à la réparation :

 

L'offense :

La complainte ou sommation :

 

La réparation :

 

La réaction à l'excuse :

 

Nous avons procédé à la constitution de fiches d’analyse fondées sur les modèles précédents afin de pouvoir les appliquer systématiquement aux séquences d’embarras. La reproduction de ces formulaires ci-après :

Fiche d'analyse "offense" :

 

Fiche d'analyse "demande de réparation" :

 

Fiche d'analyse "réparation" :

 

 

Fiche d'analyse "réaction à l'excuse" :

 

Les séquences d’embarras ont été extraites systématiquement du corpus primaire constitué de l’ensemble des échanges sur les salons publics « générationnels » soit : les salons 10-14 ans ; 14-18 ans ; 25-30 ans ; 30-40 ans ; 40 ans et plus [6] . Le temps de recherche et de rédaction imparti pour la présente étude se concentre sur une année, ce qui a nécessairement pesé dans nos choix et motivations méthodologiques. Ainsi, nous avons focalisé davantage notre attention sur les salons situés aux extrémités de la chaîne générationnelle (10-14 ans ; 40 ans et plus) dans une perspective contrastive. Admettons d’ores et déjà que cette décision est contestable et que par ailleurs, nous ne prétendons pas constituer un échantillon statistiquement représentatif.
84 séquences embarrassantes ou offensantes ont été répertoriées dans ce corpus. Nous attribuons aux différents mouvements qui les composent le chiffre 1, 2a, 2b, 3, 4 (qui correspond chaque fois à la création d’une fiche d’analyse) selon qu’ils s’apparentent à une offense, une complainte, une réaction à la complainte, une réparation et une réaction à la réparation . Il nous faut préciser que certaines interventions, mentionnées en italique, ont parfois été intégrées à un mouvement général, et n’ont ainsi pas fait l’objet d’une fiche individuelle.
Le modèle terminologique proposé par les linguistes en terme de rangs hierarchisés pour décrire l’organisation des discours pose par ailleurs quelques difficultés, appliqué aux cyberconversations [7] : le problème essentiel réside dans le fait que la communication ne s’établit pas point par point. Elle est multipolaire et s’inscrit dans une histoire interactionnelle commune, constamment reconfigurée. À ce titre, il nous faut bien soutenir qu’il existe une unité de rang supérieur à l’interaction : Kerbrat-Orecchioni cite d’ailleurs Golopentia, qui formule l’hypothèse d’une « histoire conversationnelle », d’un « ensemble ordonné des interactions ayant eu lieu entre deux ou plusieurs sujets parlants (la somme des conversations entre membres d’une même famille par exemple…) » (Kerbrat-Orecchioni, 1998a : 218).

 

Ci-après ces 84 séquences :

 

corpus :

 

(dans la version "papier" chacune de ces 84 situations peut être examinée individuellement en détail grâce à la fiche d’analyse lui référant, fournie en annexe.)

 

L ‘ensemble des résultats a été reporté pour chaque salon dans une série de tableaux récapitulatifs. Ils intègrent les caractères principaux des 4 phases de l’échange réparateur :

-       Pour l’offense : le caractère apparemment délibéré ou involontaire de l’action (Del./Invol.) ; sa cible, individuelle ou collective (Ind./Coll.) ; l’offense de forme et l’offense de contenu (F/C).

-       Pour la complainte : son caractère explicite ou implicite (Expl./Impl.). Pour la réaction à la complainte, son aspect positif ou négatif (Pos./Neg.)

-       Pour la réparation : son caractère explicite ou implicite (Expl./Impl.)

-       Pour la réaction à l’excuse : son aspect positif ou négatif (Pos./Neg.)

 

Dans le premier tableau l’on trouvera donc rassemblés, jour par jour, le nombre et la nature des mouvements composant chacune des 84 situations d’embarras.

 

Un second tableau, complétif, regroupe ces mêmes données par sous-totaux journaliers. Dans les deux cas, la ligne de TOTAL est identique, qui fait la synthèse des résultats.

Les totaux de chaque salon ont ensuite été regroupés au sein d’un tableau comparatif général.

 

L’on fournira par ailleurs pour chaque salon, une fiche d’analyse globale, identique à celle appliquée aux énoncés, et à laquelle on pourra se référer pour une vision plus détaillée des différentes caractéristiques. Nous proposerons un commentaire des résultats les plus significatifs pour les salons 10-14 ans et plus de 40 ans, avant de dresser une conclusion du tableau général.

 

Précisons enfin que l’on ne saurait faire entrer en force des interactions sociales « dans des cases ». Toute tentative de classification est par nature relativement arbitraire et souvent restrictive. Certains énoncés cumulent des caractéristiques antagonistes tandis que d’autres sont inqualifiables faute d’éléments contextuels [8] .

 

L’ampleur des données, traitées manuellement, nous impose par ailleurs de prévenir le lecteur d’un biais de +/- 2 points.

 

Le signe *  indique que l’offenseur a été éjecté du salon.

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[1] un cas unique a été constaté

[2] Kerbrat-Orecchioni distingue les offenses directes (qui concernent directement l’interlocuteur) des offenses indirectes (qui l’atteignent indirectement dans la mesure où il se sent solidaire de l’offensé). Dans le cas des messages multiples, l’offense serait indirecte, puisque aucun individu n’est particulièrement visé, mais aussi directe, puisque chacun d’eux est privé de sa faculté d’intervenir… Nous préfèrerons donc à cette entrée, la distinction entre offense individuelle ou collective…

 

[3] À l’instar de Kerbrat-Orecchioni, il conviendrait de parler plutôt d’un « ensemble de formules d’excuses » (1998b,  : 162). Citant Olshtain et Cohen (1983) : « apologie speech act set », un « speech act set » étant un « paradigme de structures qui sont susceptibles de réaliser par des voies différentes, un même acte de langage » (idem).

[4] Notons que Goffman note, lui, trois procédés réparateurs : les justifications, les excuses et les prières ; ces dernières se situant typiquement avant l’acte offensant. Une caractéristique qui a conduit Kerbrat-Orecchioni à conclure à une variante de l’échange réparateur « classique », la permutation.

[5] Goffman distingue trois niveaux de responsabilité de l’offenseur (Goffman,1974 : 17) :

-        L’action innocente

-        L’intention évidente

-        Les offenses fortuites

[6] Précisons que le salon 18-25 ans n’a pas été inclu dans ce recueil, ce qui constitue incontestablement une lacune qu’il convient de justifier : reste que « les justifications vraies sont souvent bonnes, mais les fausses sont parfois meilleures » nous prévient Goffman (1973, 116). Comme nous ne saurions invoquer la perte de ces données sans susciter une légitime suspicion, mais que nous renonçons par ailleurs à toute autre explication fallacieuse, nous assumons donc au final cette carence, tout en nuançant ses effets…

[7] Kerbrat-Orecchioni envisage 5 rangs fondamentaux pour l’organisation des interactions : les unités supérieures sont l’échange (définit comme la plus petite unité dialogale), la séquence, et l’intéraction ; les unités inférieures, sont les interventions et les actes de langage (pris en charge par un seul locuteur) (Kerbrat-Orecchioni, 1998a : 213).

[8] Ce qui explique par exemple que le nombre total d’énoncés offensants puisse être inférieur au nombre d’offenses de contenu ajouté au nombre d’offense de forme. Certaines offenses cumulant ces deux caractéristiques. Pour plus de détails, se reporter aux fiches d’analyse.