II La variation du modèle conversationnel :

           

Comparons tout d’abord la différence de matériel sémiotique dont disposent les interactants selon qu’ils sont en face à face ou reliés, par connexion informatique, au dialogue en direct.

 

1) Différences sémiotiques :

 

La nature textuelle des échanges [1] impliquant l’utilisation quasi-exclusive des procédés linguistiques, commençons par évoquer les moyens utilisés par les participants pour pallier le manque de relais intra-interactionnel, et donc à l’absence de donnée paraverbale et non-verbale, dont on sait l’importance en face à face : « Much of our understandings of linguistic meaning and social context are derived from non-verbal cues. With these unavailable, it remains for users of computer-mediated communication to create methods of compensating for the lack. » (Reid, 1991)

 

Catherine Kerbrat-Orecchioni (1998b : 16-25) distingue cinq signes paraverbaux et deux types d’éléments non-verbaux :

 

- Les procédés paraverbaux :

 

 

·    Le débit, ou vitesse d’élocution : sur le dialogue en direct, la rapidité de frappe des énoncés dépend essentiellement des aptitudes dactylographiques de chaque émetteur. Comme le signale Reid (idem.), nous verrons, en étudiant le tour de parole, que « Speed of response and wit are the stuff of popularity and community on IRC. »

 

Illustration :

 

feline.feline1> a.laddy> j'ai du mal a suivre la

(…)

a.laddy> feline.feline1> moi aussi un pv en meme temps hihihi

(…)

a.laddy> oufffff dur à suivre ici

16/04/01

salon 40 ans et plus#562

 

 

·    L’intensité vocale : elle peut-être représentée graphiquement par la taille des caractères typographiques. L’administrateur du site propose, dans un menu déroulant, 3 formats optionnels désignés par les termes « murmurer », « parler », (qui correspond à l’usage le plus fréquent) et « HURLER ». Par défaut, le système présélectionne « parler ». Notons que, comme en face à face, HURLER équivaut rapidement à une pollution non plus sonore mais visuelle, à l’écran…

(Une quatrième possibilité, l’écriture dite par « vague », est offerte au connecté. Option inexistante lors de notre étude précédente (Cf. Mattio, 2000 : 80)

 

Illustration :

 

taz_99991> 123_45> HEHOHE JE PARLE PAS AU SOUR

yeux-bruns> taz_99991> ne crie pas ca sert à rien

taz_99991> yeux-bruns> POUR KOI

(…)

yeux-bruns> taz_99991> pcq nous sommes pas sourds ici

taz_99991> yeux-bruns> SES PAS DE FATE SI IL ME PARLE PAS

(…)

taz_99991> yeux-bruns> OU I ME REPOND PAS

yeux-bruns> taz_99991> ne crie pas il va le faire

06/04/01 01h48

40+#420

 

Notons ici l’emploi par les utilisateurs, des verbes parler et crier, pour désigner, non une activité vocale, mais un échange scripté. Cette référence à une situation de face à face, est également induite dans le dispositif (murmurer, hurler…). Il peut d’ailleurs être intéressant de rapprocher ce constat de celui de Jack Goody, en préface à son ouvrage Entre l’oralité et l’écriture : « … alors que l’écriture peut remplacer l’interaction orale dans certains contextes, elle ne réduit en rien le lien locuteur-auditeur qui constitue la nature même des actes linguistiques. »

 

·    La hauteur de voix : difficile de trouver une équivalence graphique, hors du cadre sonore.

 

 

·    Les intonations, ou schéma prosodique : nous verrons que l’usage de certains procédés linguistiques (comme l’étirement de certaines syllabes) permettent dans une certaine mesure de créer artificiellement un contour intonatif. Toutefois, les participants peuvent également avoir recours aux signes de ponctuation, aux majuscules ou encore à différentes couleurs de police de caractère.

 

 

Malgré le caractère textuel des échanges, notons que certaines activités purement vocales peuvent être signifiés à l’écran : ici l’exemple de plusieurs participants s’adonnant à ce qu’il conviendrait de nommer des « chants virtuels »[2]. Précisons que la signifiance de l’activité ne peut-être perçue qu’à la condition que les interactants disposent d’un bagage culturel commun (en l’occurrence la variété contemporaine française). L’utilisation d’une imagette[3] (note de musique) concourt également à l’intercompréhension.

 


Salon DOM-TOM

09/02/01

 

 

·    Enfin, signalons les productions vocales particulières (raclements de gorge, grognements…) ainsi que les interjections, très fréquentes, qui nécessitent d’être retranscrites en toutes lettres sur le chat (emprunt des expressions, notamment onomatopéiques de la bande dessinée) malgré leur caractère spontané en face à face (Nous verrons plus loin que c’est une caractéristique spécifique des situations de l’oralité, intégrant la présence physique d’un interlocuteur, que d’autoriser l’emploi de déictiques et l’usage de ces formes spontanées.)

 

Exemple :

 

lapate.fraiche> felinnoir> probleme moi grrrrrrrr

(…)

btitous> felinnoir> wouaaaaaa et ou cela ?

08/05/01 22h

40+ #915

 

ou encore :

 

le_pseudo_ki_fait_parler> oi c tres beau

21/03/01 14h08 

10 - 14 ans#218

 

- Les procédés non-verbaux :

 

Venons-en à présent aux éléments non-verbaux, et d’abord évoquons, sur le dialogue en direct, l’absence de données liées à la proxémique (gestion de la distance entre les participants). Comme nous l’avons déjà souligné, c’est une co-présence situationnelle et non sensorielle qui unit les interactants. La distance physique n’est donc pas « négociable » entre individus, puisque structurellement imposée par le cadre de l’interaction (Précisons que dans les cas des « Palaces », ces logiciels client/serveur textuels et graphiques, la gestion des avatars (personnages graphiques symbolisant les différents usagers) s’apparente à de l’organisation proxémique. Voir sur ce point, l’étude de Verville et Lafrance)

 

En revanche, en matière kinésique, l’on observe des procédés de substitution à ces gestes, regards et autres mimiques d’expression, qui, en face-à-face, sont autant d’indices directionnels, dont on ne peut se passer selon Goffman, « sans mettre en danger l’interaction ». (Goffman, 1991 : 214)… Évidemment, tout jeu de regards est sur le chat exclu.

 

Avant d’en venir plus précisément aux manifestations de cette recherche d’expressivité, résumons, en un tableau comparatif, les procédés paraverbaux et non- verbaux dont disposent les locuteurs dans les deux situations.


 

 

FACE A FACE

DIALOGUE EN DIRECT

Procédés para verbaux

 

Débit

 

Intensité vocale

 

Hauteur de voix

 

Intonations

 

Production vocale particulière

(raclements de gorge, grognements…)

 

 

Vitesse de frappe

 

Corps de la typographie

(Murmurer, parler, HURLER)

 

Æ

   

Signes typographiques :

(Majuscules,couleur, ponctuation…)

 

Transcription, ex. : « grrrrr »

 

Procédés non-verbaux

 

Proxémique

(distance)

 

Kinésique

(gestes, regards, posture)

 

 

 

Æ

 

 

Simulation du contact

(Ex. les salutations)

« XXX »

:-@

((  ))

« bise »

 

 

Ainsi, « There are no changes in voice, no facial expressions, no body language, no (or very little) visual/spatial environment as a context of meaning. There's just typed words. ». (Suler, 1997b). La recherche d’expressivité se manifeste pourtant également à trois autres niveaux :

 

·      La ponctuation : points et virgules sont souvent marginalisés, en revanche, les points d’exclamation et d’interrogation peuvent être employés en nombre pour représenter le contour intonatif du discours.

Comme le signale Suler dans un article consacré aux salutations, « An unspoken norm at the Palace is that one's degree of enthusiasm is loosely correlated with the number of exclamation points in the greeting. » (Suler, 1997a).

 

·      Les smileys (illustrations 8 et 9), autrement dénommés emoticons, ou encore icônes des émotions : il s’agit d’une suite de caractères ASCII qui symbolise une expression du visage. (Tourner la tête vers la gauche). Notons que l’interprétation peut se révéler variable et que leur réalisation dépend de la version, HTML ou JAVA, utilisée. Reid définit les smileys comme « a system of presenting textual characters as representations of physical action. Commonly known as 'smileys', CMC users employ alphanumeric characters and punctuation symbols to create strings of highly emotively charged keyboard art » (Reid, 1991)

 

         L’exemple suivant montre une création involontaire d’un smiley qui équivaut ici à un raté, et qui nécessite au préalable une courte explication : le marqueur de négation « pas » est parfois remplacé par certains usagers par le graphème « po » (comme « oui » par « vi »). Or, l’ajout d’un point d’exclamation à la suite de ces deux lettres, sans espace, correspond à la constitution d’un smiley. Ce raté, (la représentation graphique d’un pirate, pour « po ! », pour « pas !») involontaire, nécessite, on va le voir, réparation.                                                           

 

eurydice_la_douce> wayd> mdrrrr z'oublierai                             

 

wayd> eurydice_la_douce>                                                         

 

eurydice_la_douce> wayd> y a tjs le pirate qui se met au lieu de mes mots! y m'enerve celui la!mdrrrr                                                     

 

wayd> pas ???                                                                                 

 

eurydice_la_douce> wayd> oui quand je veux ecrire po                  

 

eurydice_la_douce> bizarre hein!

wayd> P o ! =

21/03/01         

salon 30-40#151        

               

·      Enfin, les imagettes (illustration 9), proposées par le support Caramail, bien connues dans le domaine de la BD, (type tête de mort, cœur, arc-en-ciel… ) dont la fonction référentielle et poétique est souvent mise à contribution. La réalisation des imagettes est soumise aux mêmes conditions que celle des smileys.

 


Leur utilisation est essentiellement référentielle :

15/03/01 14h15

Salon 40+#48

Illustration 8 : liste non exhaustive de smileys  (suite de caractères ASCII)

 

http://123webmaster.online.fr/index.php3?page=smileys

Source des smileys: http://www.multimania.com/epotes/

                               

172 smileys trouvés

Smileys de base :

 

:-)       Sourire

:-D      Rire

:-*      Bisou!

;-)       Complice

:-X      Motus & bouche cousue

:-P      Bavard [Langue qui dépasse]

:-|      Indifférent

:-(      Mécontent

:'(       Une larme

:-o      Oh!

0:-)    Je suis innocent!

>:->   Taquin

:->      Sourire sarcastique

>;->   Taquin & complice


Ci-après, les correspondances graphiques obtenues sur le site « carasecrets.fr.st » (site indépendant)

Illustration 9 : Tableau de réalisation des smileys (graphique) et des imagettes sur Caramail

Comme le signale Reid, « As Hiltz and Turoff have reported, computer conferees have developed ways of sending computerised screams, hugs and kisses. » (Reid, 1991). La recherche d’expression est caractéristique, dans l’étirement de certaines syllabes ( « chuuui laaaaa »), afin de construire artificiellement la vocalisation, et les cris ; mais elle est surtout manifeste dans l’utilisation des signes typographiques pour représenter les étreintes.

 

C’est ainsi, comme l’ont souligné Verville et Lafrance pour le Palace de Génération Net, que certains usagers du dialogue en direct, ont coutume de « se donner la bise, à l’image des peuples latins » (Verville et Lafrance, 1999 : 193). Ce contact est formalisé par l’association de plusieurs lettres X majuscules : XXXXXXX. Notons en revanche, et ce fût une surprise, que l’usage pourtant très fréquemment attesté du baiser, :-@   , un an plus tôt sur le salon DOM TOM (Cf. Mattio, 1999 : 92) n’a plus été observé dans le corpus 2001. Ce qui conforte l’idée d’une appropriation progressive et variable du dispositif technique par les utilisateurs. Le recours aux parenthèses, apparemment fréquent sur le Palace The Mansion, ((( good bye))) « histoire de simuler l’étreinte des adieux » (Verville et Lafrance, 1999 : idem.) n’a pas non plus été observé.

 

- Les procédés linguistiques :

 

En étudiant l’an dernier le salon DOM TOM, nous avions pu observer deux applications différentes mais complémentaire du cadre de l’interaction [4] : d’une part, un rapport à l’écrit, fondé sur le modèle épistolaire classique, avec respect des règles orthographiques, une structuration même minimale des messages (Sujet Verbe Compléments)… D’autre part, un rapport à l’écrit fondé sur le modèle verbal, avec des énoncés liminaires, interprétables à la lueur des tours précédents, souvent composés d’éléments phonétiques… Nous y voyons deux paradigmes, celui de l’écrit, épistolaire, et celui de l’oral.

 

Sur le chat, les néographies abondent : le morphème « qu » devient « k » (ki, koi, keske, pour respectivement, qui, quoi, qu’est-ce que…).

 

Exemple :

 

pampizza1> s kil y a kelkun ki aime roswell ici?

05/04/01 23h37

Salon 10-14#563

 

De même, l’utilisation des abréviations (tlm, tjrs, pour, tout le monde, toujours…) est courante [5] . Il convient de spécifier le cas particulier des abréviations de type jargonneuse : elles sont peu nombreuses, bien que très fréquemment employées, et parfois obscures pour les non-initiés. Certaines sont fondées sur des traductions d’acronymes anglais : c’est le cas de LOL, contraction de Loud Of Laughing, dont l’équivalent français est généralement représenté par « mdr » pour « mort de rire », ou encore « ptdr » :

 

mysteriousways> masterdriver> ptdr

(…)

arobas5> mysteriousways>salut... scusez mon ignardise mais... "ptdr", késako?!!!

 

tonton_du-web> arobas5> pete de dire

(…)

mysteriousways> PéTé De Rire

19/03/01 15h30

salon blagues

 

L’on use également de chiffres et d’opérateurs mathématiques (a+, y’a kelk1, 7 a dire, koi de 9, pour respectivement, à plus (tard), y’a quelqu’un, c’est-à-dire, quoi de neuf…). Les raisons de ces usages sont multiples, comme le signale également Anis : citons pêle-mêle, le gain de temps, l’attitude ludique (les rébus), la nécessité de pallier le manque de relais intra-interactionnel, la contestation de la norme, une volonté cryptographique à visée communautaire… Sans oublier, la simple non-relecture du message (l’erreur de frappe), et la dactylographie "à un doigt"…

 

            Ci-après, une séquence illustrant tout à la fois, des vocalisations (hihihi) l’utilisation d’une imagette (arc-en-ciel), l’emploi d’abréviations jargonneuse (lol, mdr), la représentation de la « bise » par XXX, l’usage démultiplié de certains graphèmes (va chhhhhhh… interjection dont la grossièreté est élidée par l'émetteur) ou encore l’équivalent graphié d’un grognement (grrrr)…

 

beethoven123> bretel21> je dois te laisser mon masseur m'attends hihihi!!!!!

rebelle_ch> un petit pour vous guider au bout de la nuit bisouxxxxxxxxxxxxxxxxx

bizou110> bretel21> tu t'es fait un cadeau avec tes gains à la loterie

bretel21> beethoven123> okkkkkkkkkkkkkkkkk bye bye bisous

bizou110> rebelle_ch> merci pour l'arc-en-ciel et bisous #05

bretel21> bizou110> lolllllllllll hihihi remis les finances a date lollllll hihihi

beethoven123> bretel21> bisous de nous deux, a la prochaine clic...

bretel21> beethoven123> tu as tout a fait raison

bizou110> bretel21> mdrrrrrr tu veux dire que tu as payer tes impots

bretel21> beethoven123> a la prochaine xxxxxxx

bretel21> bizou110> non j'en devais encore plus a l'impot malheureusement

bizou110> bretel21> normal aux salaires que vous gagner les fonctionnaires mdrrrrr

bretel21> bizou110> va chhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh

bretel21> bizou110> tu gagnes 3 fois plus que moi toi là grrrrrrrrrrr je suis une pauvre femme moi

09/04/01 04h15

Salon 40+

 

Précisons en conclusion de l’examen du matériel sémiotique, la nécessité d’élaborer une terminologie opérante afin de définir la façon de parler dans les cyberconversations.

 

L’on sait que langue orale et langue écrite ne s’opposent pas tant sur la forme, selon leur variété, inhérente au canal d’expression employé, que sur le fond, en termes de structuration et d’élaboration du discours.

 

Ainsi, Marie-Christine Hazaël-Massieux qualifie la langue orale comme la langue écrite de parlée ou de graphiée (dans l’histoire des sociétés comme celle des individus, l’oralité précède l’écriture), la langue écrite pouvant être vocalisé. Et de résumer en un tableau (1981 : 281) les quatre étapes successives du passage d’une langue d’une situation d’oralité à une situation d’écriture :

 

- Stade 1 : la langue orale parlée : spontanée et susceptible d’élaboration quant à sa composition et son rythme. Constitue le ferment d’une littérature orale. La prosodie revêt un caractère fondamental.

- Stade 2 : la langue orale graphiée : transcription de l’oral. Conserve le rôle essentiel de l’intonation sur le plan grammatical et expressif.

- Stade 3 : la langue écrite graphiée : adaptée à une communication in absentia. Atteint un seuil de standardisation par établissement de règles. La place dévolue à l’intonation s’affaiblit au profit notamment de procédés lexicaux.

- Stade 4 : la langue écrite parlée : autonome de la langue orale. Conserve à l’intonation une unique valeur de redondance.

 

Sans entrer en profondeur dans le débat linguistique de l’oralité et de l’écriture, accordons nous avec Elisabeth Reid (1991) pour constater que: « Communication and language theorists make a sharp distinction between the spoken and the written word. That distinction is based on a perception of temporal and spatial proximity in the case of spoken communication, and distance in the case of written communication (… ) Chat programs deal in a form of synchronous communication that defies conventional understandings of the differences between spoken and written language. »

 

En effet, comment qualifier la situation de communication particulière, inscrite dans un cadre informatique textuel, mais fondée sur le bavardage ? Il s’agit bien, concernant ce que nous dénommons ici cyberconversations, de recours à une langue orale graphiée, pour reprendre la terminologie d’Hazaël-Massieux. Pour autant, cette conversation écrite n’est pas différée, le message demeure susceptible d’adaptation, et l’usage des déictiques est attesté (même s’il semble rare) comme le prouve l’exemple suivant :

 

smg.justine1> loverman56> a qui tu parles

loverman56> smg.justine1> quan

smg.justine1> la

21/03/01         

Salon 10-14#113    

   

Évoquons enfin, deux propositions terminologiques, formulées l’une, par le linguiste Jacques Anis [6] , qui préconise l’emploi du mot-valise « parlécrit » pour désigner cette forme d’écrit oralisé qui a cours sur les chats ; l’autre, par Philippe Hert (1999 : 214 et suiv.) introduisant la notion de « quasi-oralité de l’écriture ». Et notons que sur le dialogue en direct, le salon « blagues » est particulièrement propice à l’observation de cette « écriture oralisée » : les plaisanteries fondées sur ce que l’on appelle communément des jeux de mots, aboutissent en effet, dans le cadre textuel, à une transcription (ortho-)graphique de l’équivoque phonétique.

 

Exemple :

 

cerealkiller23> tonton_du-web> pourquoi les anges ne dorment pas?

 

tonton_du-web> cerealkiller23> vasy

cerealkiller23> parceque jesus cris

19/03/01 15h30

Salon blagues


2) Organisation des échanges :

 

-     Fonctionnement général :

 

            La structure générale des échanges repose sur un modèle proposition / réplique, et fréquemment sur l’alternance question / réponse.

 

Comme le signale Suler, « Most of the time people express what they have to say in a brief sentence or two, or in sentence fragments. » (suler, 1997b).

 

ea64> zhour_75> que fais-tu à casa ?

zhour_75> ea64> deleguee medicale et toi

ea64> zhour_75> moi rien je suis retraité

zhour_75> ea64> ton age

ea64> zhour_75> 57 ans !

07/04/01 01h30

salon 40 et +#435

 

·      Le tour de parole :

 

Comme en face à face, la prise alternée du tour de parole par les différents locuteurs est l’usage courant. Toutefois, dans le cas des cyberconversations, la prévision de la complétude [7] d’une énonciation ne repose ni sur la base de moyens visuels (regard, geste…) ( ce qui pose particulièrement problème dans le salon blagues évoqué précédemment, quand il s’agit pour l’émetteur d’évaluer le moment où son interlocuteur « donne sa langue au chat »,  signal que la chute de la devinette doit être dévoilée) ni d’indices intonatifs fournis par l’émetteur. Or,  de la pertinence de cette même prévision, dépend le déroulement coordonné de la conversation. Sur le dialogue en direct, les participants ont donc recours à deux autres moyens :

 

Le premier se compose du savoir grammatical réciproque des partenaires qui leur permet d’anticiper la complétude grâce à la combinaison de différents indices syntaxiques et sémantiques (Bange, 1992 :33).

 

Le second, typique du chat, provient de la quasi-synchronicité des échanges et du calque de la complétude sur l’apparition des énoncés ultérieurs : nous avons jusqu’ici qualifié le chat de « synchrone » pour la raison qu’il associe deux locuteurs en présence immédiate de la réponse de l’un et de l’autre, à l’image du téléphone (Goffman, cf. infra). Toutefois, la pure synchronicité voudrait qu’il n’y ait aucun décalage entre l’émission et la réception du message. Or sur le chat, un léger différé, de quelques secondes apparaît, en fonction du nombre de participants actifs sur le salon, du nombre de connectés… Mais on peut comparer ce décalage avec celui de certaines liaisons téléphoniques lointaines, dont la synchronicité n’est pas pour autant remise en cause.

        

         Le schéma ci-après tente de montrer comment le changement de tour L1-L2 se confond avec l’affichage, à l’écran, de nouveaux énoncés.


 

       

         Les conséquences sont doubles : d’une part, la mésentente est toujours possible car comme le stipule Goffman, « l’unité élémentaire de parole n’est pas le tour mais le « mouvement »  (move)  qui peut coïncider avec un tour de parole ou une phrase, mais n’y est jamais contraint » (Goffman, 1987 : 31). L’enchâssement général des énoncés, se double de ce fait, parfois, de chevauchements au sein d’un même échange. L’auto-attribution du tour étant bien sûr la règle. Précisons tout de même au regard du schéma précédent que le chevauchement est en réalité déduit a fortiori par les deux interlocuteurs à mesure de l’affichage de leurs énoncés respectifs. Le chevauchement porte donc en fait sur l’envoi (hors-cadre) du message, et influe sur la pertinence du propos.

 

15/03/01 14h01

salon 40 et + #48

(L’on notera la virgule à la fin du premier énoncé, qui marque la non-complétude, mais la signifiance de cet indice semble ici insuffisante)

 

            L’autre conséquence typique du synchronisme des interactions et du calque de la complétude du tour sur l’apparition de nouveaux énoncés, est la promptitude requise pour les échanges. Rheingold considère ainsi le « quick wit » comme un élément fondamental.

                                                                      

tina.soon2> leogon> tu veux parler avec moi?

 

leogon> tina je veut bien mais tes reponce son long                    

(…)

tina.soon2> Non!                                                                                    

 

tina.soon2> leogon> Je te parle!

14/03/01 14h08         

salon 10-14#47

 

Signalons que vivacité d’esprit et rapidité d’exécution de l’énoncé sont deux qualités requises et valorisées dans les salons. «  The Internet relays chat, and such social endeavour demands speed of thought - witty replies and keyboard savoir faire blend into a stream-of-consciousness interaction that valorises shortness of response time, ingenuity and ingenuousness in the presentation of statements. » (Reid, 1991)

 

Il faut voir dans cette promptitude, corollaire du maintien de l’engagement, une caractéristique qui rapproche la cyberconversation du bavardage en face à face.

 

Il en est une autre, commune aux deux modes d’interaction, qui apparaît d’ailleurs dans l’exemple précédent : l’usage de la mention du destinataire.

 

·        La nature dialogique des échanges :

 

Il est d’usage sur les salons de mentionner le nom du destinataire des messages. Cette règle a d’abord pour but de faciliter la lisibilité des échanges et de favoriser l’intercompréhension. À ce titre on peut parler de signes de direction.

 

Pris dans le flux des échanges, le message risque, en l’absence de mention de récepteur, de rater purement et simplement sa cible. Des rappels à l’ordre peuvent alors être prononcés par les récepteurs « supposés ».

 

ea64> tu as le soleil et la mer c le paradis!

zhour_75> ea64> avec qui tu parles

ea64> excuse je te parlais !

ea64> zhour_75> excuse je te parlais!!

07/04/01 01h30

salon 40 et +#435

L’on constate dans l’exemple précédent que la première tentative de réparation d’ea64 ne comporte toujours pas d’adresse, ce qui l’oblige en tant qu’offenseur à réitérer à nouveau ses excuses, dans les formes cette fois.

           

Précisons que les participants ont l’impossibilité de sélectionner en même temps, deux destinataires différents, ce qui conditionne fortement un cadre de relations duelles. A l'instar de la conversation, l’échange médiatisé synchrone sur Caramail peut donc être qualifié de binaire : « la binarité de la conversation repose sur l’impossibilité de sélectionner, dans le même temps, deux allocutaires distincts » (Vion, citant Laroche-Bouvy, 1992 : 135-136)

 

Mais la relation duelle, si elle semble la plus commune, n’est pas la seule possible, bien que la cyberconversation, comme « toute conversation qui mettrait en présence plus de deux personnes devrait fonctionner comme des séquences de relations dyadiques successives ou simultanées. » (idem.)

 

Les échanges « de groupe », c’est-à-dire lorsqu’au moins trois participants s’entendent pour discuter ensemble, requièrent plus de maîtrise technique et de vivacité : il faut alors coordonner son message avec les autres productions, prendre son tour en évaluant la pertinence du propos en tenant compte du risque de chevauchement ; désigner un destinataire, même si le message s’inscrit dans le cadre d’une discussion de groupe… Nous reviendrons dans la deuxième partie sur la conception plus ou moins collégiale de l’interaction. Mais il nous faut souligner la fonction générale de ces échanges de groupe : la construction d’un contexte imaginaire commun.

 

·        La création d’un environnement imaginaire

 

Selon Rheingold, trois éléments fondamentaux caractérisent IRC : « artificial but stable identities, quick wit, and the use of words to construct an imagined shared context for conversation. » (1993). Le fait est que les participants (apparemment le cas est plus fréquent sur les salons 40 ans et plus, que sur les salons 10-14 ans) se construisent parfois un contexte purement imaginaire, qui sert alors de nouvelle ressource. On peut alors parler de construction commune du discours…

 

 

Dans l’exemple que nous avons choisi, trois participantes, titou723, liberace57, et elle_est_sauvage critiquent vivement l’attitude de sexy_juju. 

 
Exemple :

 


15/03/01 14h15

40 et +#48

 

Par sa longueur, et sa construction collective, cet exemple semble assez exceptionnel. Plus fréquentes sont les références ponctuelles et individuelles :

 

hammadi54> je vous offre un bon verre de thé à la menthe

 

1aakita> hammadi54> ouaisssssssss

hammadi54> kryskool> de rien

16/04/01

salon 40 et + #562

 

Précisons en conclusion de la description du fonctionnement général des échanges qu’au regard du manque apparent et relatif de relais intra-interactionnel, peu de situations d’incompréhension ont été relevées. Ce qui confirme par ailleurs, les observations de Reid, ou encore Rheingold.

 

Un cas, particulier, mérite toutefois d’être souligné : nous avons recensé au moins deux exemples de mésentente entre locuteurs (dont un lors d’une séance d’observation participante) liée à l’absence de marqueur interrogatif. Le contour intonatif, inexistant, ne permettant pas de conclure qu’une question est posée, l’énoncé est alors interprété comme purement déclaratif…

                       

 

n.bella1> eurydice_la_douce> salut, il est amusant se salon  

 

eurydice_la_douce> n.bella1> ah bon? tu trouves?mdrrrr

 

n.bella1> non, je t'ai posé une question                                                   

 

eurydice_la_douce> n.bella1> pardon?                                            

 

n.bella1> eurydice_la_douce> je voulais savoir si c'est amusant, c'est une question                                                                                          

 

eurydice_la_douce> n.bella1> non, y a pas beaucoup d'ambiance!

21/03/01 16h00         

salon 30-40#151

 

ou encore :

 

taiso> tutty.sweety> alors ca vas

(…)

taiso> tutty.sweety> tu me reponds pas

(…)

tutty.sweety> taiso> pardon... c'était une question?!!!

16/04/01

40 et +#562

 

 

Nous avons traité de l’organisation générale des échanges. Abordons maintenant l’activité cérémonielle, dont les manifestations les plus visibles, nous dit Goffman, « sont sans doute les salutations, les compliments et les excuses qui ponctuent les rapports sociaux » (1974 : 54).

 

 

-    Le fonctionnement des échanges rituels :

 

Les échanges réparateurs et complimenteurs seront examinés en détail dans la troisième partie de ce travail. Consacrons nous ici plus particulièrement aux rituels d’accès, salutations et adieux, qui constituent respectivement des marqueurs de transition vers une augmentation et une diminution de l’accès mutuel.

 

·        l’ouverture :

 

L’on peut distinguer deux possibilités d’engagement des participants : soit initier l’échange, en procédant à des salutations, focalisées ou non (le degré d’interconnaissance entre le nouveau venu et les membres déjà présents sur le salon est une donnée importante dans le ciblage de l’énoncé, mais non fondamentale ; les communications médiées par ordinateur favorisent les interactions entre des individus qui dans la vie réelle (« off line») n’auraient probablement pas le loisir de se côtoyer, l’interconnaissance n’est donc pas un préalable requis pour la mise en contact, tout au moins sur les chats « publics ») ; soit répondre aux salutations d’un tiers, ce qui conditionnera par ailleurs le tour de parole (et l’on peut penser qu’avec un schéma fréquent questions réponses, cette place dans le tour induit également une adaptation du discours) …

 

Deux exemples extraits d’une même séquence :

 

anne-lise.lisou> Coucou à tous et toutes ! {-)

(…)

adpepper> anne-lise.lisou> salut toua!!

19/03/01

salon 25 - 30 ans#113

 

Comme le signale Goffman, « il faut admettre que les rituels de salutation et d’adieu sont influencés non seulement par le degré d’accès mutuel mais aussi par le type de tolérance rituelle qui règne entre les individus » (Goffman, 1973b : 91). Nous verrons en particulier dans la deuxième partie, que sur les chats, cette tolérance est particulièrement grande. Et elle se manifeste en partie sur les modalités d’ouverture des échanges.

 

Ci-après quelques exemples de la variété des salutations :

 

Classiquement :

cochon-mignon> Bonsoir a tous et toutes :)))))))

11/04/01 04h48

salon 30 - 40 ans#513

 

 

cali-nette23> salut

benamarc> salut

montana20> cali-nette23> salut ça gaz !!!

14/04/01 22h01

salon 30 - 40 ans#550


15/03/01

salon 40 ans et +#54

 

Plus spécifique, cet échange de salutations entre deux intervenants, dont on peut penser qu’ils partagent une vision commune de l’interaction, si ce n’est un bagage culturel commun (Eminem est un chanteur américain se distinguant notamment par son caractère provocateur) :

                                                                                             

la_fan_d_eminem> la_danse_du_youkoulele> salope

 

la_danse_du_youkoulele> la_fan_d_eminem> salope a toi !

21/03/01         

10-14#218

 

Comme nous le notions déjà l’an dernier, « il n’y a pas a priori d’égalité devant la réponse à une demande d’engagement. Tout dépend de l’activité qui règne sur le serveur, de la disponibilité des membres, mais aussi de la stratégie d’adaptation des locuteurs » (Mattio, 2000 : 128).

 

L’activité est déterminante : le nombre de connectés est variable en fonction des horaires, et il arrive que des périodes de quasi-inactivité s’installent. Précisons que l’activité se mesure à la rapidité à laquelle se succède l’affichage des nouveaux énoncés. En sorte qu’il peut parfois s’écouler plusieurs longues minutes avant qu’un échange n’aboutisse (et à la condition toutefois que l’émetteur ne quitte pas le salon pour un autre plus animé, auquel cas, il renonce à toute réponse).

 

Exemple :

cwagner2> BONSOIR TOUTES ..... BONSOIR TOUS

dan_que> slt tlm

caro2275> salut tlm<

zazaby1> salut tlm

c-mon-dernier-bal> salut tlm....je suis le 4ème

btahar2> salut caro2275

colonelfreezer> btahar2> eh bien c'est le meme partout

11/04/01 04h48

salon 30 - 40 ans#513

 

Ces périodes troublantes d’inactivité, dans un système fondé sur l’expression amène certain à meubler le silence graphique par un monologue : on peut y voir une forme particulière de repli sur l’interaction.

 

larauffe> salut a tous

larauffe> si vous etes encore vivant bien sur

larauffe> ca n'a pas l'air

larauffe> heuyyyyyyyyyyyyyyyyyy

larauffe> vous faites quoi ?

crystaline41> allo

larauffe> bon il me faut repeupler tout ca

larauffe> ca va pas etre facile

larauffe> mais bon je ne perds pas courage

larauffe> il y aura bien au moins un survivant, non ?

larauffe> grrrrrrrrrrrrrr !!!!

larauffe> c'est pas le top ce salon

larauffe> j'ai vu mieux quand meme

larauffe> dans ma grande vie

larauffe> ou suis-je ?

larauffe> pas cool du tout

jean.besaloeil> bonsoir

larauffe> je vous en remercie pas

larauffe> jean.besaloeil> a enfin

larauffe> jean.besaloeil> tu es bien vivant ?

jean.besaloeil> larauffe> j'arrive

jean.besaloeil> oui, je pense

larauffe> jean.besaloeil> je ne reve pas , hein ?

09/04/01 00h

salon 40 ans et plus#468

 

Ou encore :

 

jay93jay> aouh

jay93jay> ca va les vieux

jay93jay> aouh

jay93jay> arc enciel

jay93jay> aouh

jay93jay> vsetes intimides ou koi

jay93jay> aouh

jay93jay> laila t telement veille ke tu connais pas ton sexe

jay93jay> je suis le gourou

jay93jay> aouh

jay93jay> vs avez perdu vos dantier vs savez + parler

jay93jay> aouh

11/04/0116h15

40 ans et plus#564

 

            L’engagement conjoint est un état fragile, précaire et instable nous dit Goffman : « Mais, comme un tel engagement est obligatoire, le détachement sous toutes ces formes constitue une sorte de méfait que l’on pourrait appeler « mésengagement ». (Goffman, 1974 : 104)

 

Le type de « mésengagement » lié à une faible activité générale peut être imputé au système. Mais lorsque l’activité peut être qualifié de normale, que la présence des participants est manifeste par l’envoi régulier de messages, l’absence de réponse à des salutations peut être attribuée à un manque de politesse, et faire ainsi l’objet d’une complainte de l’émetteur qui se place alors dans la position d’offensé (atteinte à sa face positive selon la dénomination de Kerbrat-Orecchioni, 1989).

 

L’exemple suivant est d’autant plus intéressant qu’il met en lumière la capacité d’interprétation relativement grande des interactants : ici, le plaignant recourt à des remerciements anti-phrastiques pour souligner que sa demande initiale d’engagement n’a pas trouvé d’écho. Nous notons que le caractère ironique de son propos n’échappe pas à son interlocuteur.                   

 

25lorelei> bonjour à vous tous !

(…)                                                                                                            

25lorelei> Merci à vous de m'avoir saluée !                                                                         

(…)

a.laddy> 25lorelei> oups pardon pas vu allo                                                                       

feline.feline1> 25lorelei> oups pas vu en vert toi

 

feline.feline1> 25lorelei> bonjour

(…)

25lorelei> feline.feline1> bonjour mais un peu terd !!!                                                      

(…)

25lorelei> idem pour ces messieurs !!!

(…)

feline.feline1> 25lorelei> ne le prends pas mal

16/04/01         

40+#562

 

Précisons également que cette conception de la politesse n’est pas unanimement partagée par tous :

 

arkanium> Sallut à tous

colonelfreezer> arkanium> bjr toi

colonelfreezer> restons poli

colonelfreezer> saluons ceux qui nous rejoigne

btahar2> colonelfreezer>c'est dommage

11/04/01 04h48

salon 30 - 40 ans#513

 

Mais répondre à toutes les sollicitations d’engagement est impossible et le devoir de politesse peut entraîner des espérances fâcheuses : l’exemple que nous avons choisi est particulier car l’émetteur procède dans le même temps à des salutations et à une demande mariage (certes non conventionnelle) :                                                        

 

errabie> salut les veilles                                                                                                          

(…)

errabie> qui a envie de se mariee                                                                                                    

errabie> je cherche une femme pour mariage                                                                   

 

errabie> y a personne m' a repondu                                                                                     

 

feline.feline1> errabie> hello sorry                                                                                        

 

errabie> feline.feline1> tu es interesse                                                                                

 

feline.feline1> errabie> non je te dis bonjour par politesse                                             

 

errabie> merci infiniment

16/04/01         

salon 40 ans et +#562

 

Enfin, il nous faut évoquer la variation de la durée globale de la séquence d’ouverture, qui comprend très souvent une catégorie spécifique de « salutations complémentaires », les « questions de salutations » (Kerbrat-Orecchioni, 1998b, 53).

 

C’est le cas fréquent du « ça va ? » et autre « tu vas bien ? ».

 

rubis142> salut tout le monde

raphael.roche> rubis142> salut

smg.justine1> salut rubis142

rubis142> raphael.roche> ca va ?

rubis142> smg.justine1> salut

raphael.roche> rubis142> ouaih, et toi ???

smg.justine1> tu vas bien

rubis142> raphael.roche> oui, tu viens en pv ?

21/03/01         

10-14#218

 

Il faut toutefois nuancer la question de l’état de santé comme forme de salutation en passant dans le cas des cyberconversations, car la santé est aussi un sujet exploité au titre de ressource sûre.

 

Précisons enfin que la durée de la séquence d’ouverture est parfois très longue, (surtout sur les salons 10-14 semble-t-il, où la mise en contact et la ratification mutuelle de l’engagement prime apparemment sur le contenu même de l’échange) au point de rompre avec la loi de pertinence dans le cas suivant (Wasa ou Was up est une référence à une publicité).

 

frantzdream>tina.soon2> wwwwwwwwaaaaaaaaaaaaaaaaaaazzzzzzzzzzzzaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa

 

jmolinier> frantzdream> wwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwwaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaasssssssssssssssssssssssssssssssssssssssssssssssssssssssaaaaaaaaaaaa

 

frantzdream> jmolinier> wwwwwwwwwaaaaaaaaaazzzzzzzzzzzzzzaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa

 

frantzdream> tina.soon2> wwwwwwwwwwwaaaaaaazzzzzzzaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa

 

tina.soon2> frantzdream> wwwwwaaaaaaaaassssssssuuuuuuuuupppppppppp!

 

frantzdream> tina.soon2> wwwwwwwwaaaaaaaaaazzzzzzzzzzzzaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa               

tina.soon2> Ok j'ai compris!

14/03/01         

salon 10-14#47

 

         Nous allons traiter maintenant le problème de la coordination de la suspension.

 

·        la clôture :

 

Un problème initial concernant les clôtures peut être ainsi formulé nous dit Bange : « comment organiser l’arrivée simultanée des participants à la conversation à un point où la complétude (d’un tour de parole) réalisée par un locuteur n’occasionnera pas une énonciation d’un autre locuteur et ne sera pas entendu comme un silence d’un locuteur. » (Bange, 1992 : 30).

 

Comme nous l’avons souligné précédemment, il est d’usage, pour les participants au dialogue en direct, de mentionner toutes préoccupations extérieures à l’interaction et incompatibles avec elle. Le retrait de l’échange est donc généralement formalisé par un énoncé de clôture :

 

julie.la.rousse> 1aakita> je remùets en veille bisous

16/04/01

40+562

 

Force est de constater, à l’issue de l’examen systématique des situations caractérisées par l’embarras[8] sur les salons « par âges », que les participants s’excusent souvent de mettre un terme à l’échange.                                                             

pyloops> olivia144> je dois y aller désolé bye a+                         

 

olivia144> pyloops> bye

olivia144> @+

14/03/01

10-14#47       

                                                          

larauffe> bon desolée je pars                                                                       

 

larauffe> bye

09/04/01         

Salon 40ans et +#468

 

Ces excuses se manifestent alors essentiellement par une réalisation implicite, c’est-à-dire une justification. L’on en conclut que la clôture des échanges est assimilée par certains à des offenses fortuites, définies par Goffman comme « des sous-produits non désirés, mais parfois prévus d’une action accomplie en dépit de telles conséquences » (Goffman, 1974 : 17).

 

Quand elle a lieu, cette légitimation de l’offense s’exprime typiquement par la description d’un état d’âme approprié (comme c’est le cas dans les deux exemples précédents : « désolé», variante elliptique de la justification), ou par la justification de l’action, en évoquant des contraintes imprévisibles, une nécessité impérieuse, ou un intérêt supérieur. Les exemples suivants sont explicites :

 

lormaka> petite_abeille6> bon je quitte , je vais rejoindre mon amour

16/04/01
40+562


barbarella1025> je quitte je dois aller chercher quelqu'un a l'aéroport bisous peut etre à tout à l'heure

09/04/01 00h

salon 40 ans et plus#468

 

Précisons que les adieux ne sauraient être entendus sur le chat comme la marque solennelle d’une longue séparation à venir. « Si la probabilité de contact après la séparation reste la même que précédemment et si cette probabilité est forte, il est possible d’employer des expressions telles que « à bientôt », ou « à un de ces jours ». On le fait couramment au téléphone », nous dit Goffman (1973b : 90).

           

         Le fil du dialogue en direct n’étant jamais rompu et la liste des connectés toujours accessible, la séparation est dans certains cas relativement brève. Le degré d’interconnaissance est en tous cas déterminant.

 

1aakita> taiso> bisous a ce soir

16/04/01

Salon 40 ans et +#562

 

         Ici le retour d’une connectée. Les salutations se limitent cette fois au strict minimum (le préfixe [re-] qui indique la répétition, est utilisé ici « pour lui-même »)

 

julie.la.rousse> RE LES FILLES

1aakita> me revoila

1aakita> julie.la.rousse> coucou

feline.feline1> julie.la.rousse> re kisssssssssssssss

miote73> salut!!

julie.la.rousse> J'AI RATE QUELQUE CHOSE

16/04/01

40+562

 

         Signalons que ces exemples montrent que les échanges s’inscrivent dans le cadre plus général d’une « histoire interactionnelle » commune.         

          

         Nous conclurons ici cette première partie visant à mettre en relief la question de l’adaptabilité du modèle conversationnel aux cyberconversations.

     On l’a vu, le cadre spécifique de ces dernières implique une adaptation langagière des intervenants. Mais nous avons surtout évoqué une adaptation de forme. Nous allons maintenant examiner plus en profondeur le contenu de ces mêmes échanges. Contenu inhérent à la conception de l’interaction dans la communauté caramail…

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[1] Précisons qu’il est toujours possible de recevoir, simultanémént à l’activité du dialogue en direct (et via la boite aux lettres électronique), des données multimédia, sous forme de photos, de fichiers son…

[2] Les amateurs reconnaitront les oeuvres du Groupe Indochine et de Francky Vincent…

[3] Cf. supra

[4] Cf. Mattio, 2000 : 82

[5] On trouvera sur le site http://www.hiersay.net/jargon.asp, une liste de 31 abréviations (non repertoriées pour la plupart sur le dialogue en direct de Carmail) telles que :

alp : à la prochaine !

A/S/V : age/sexe/ville (peu apprécié)

AKA : Also Know As (plus connu sous le nom de, alias)

ASAP : As Soon As Possible (dès que possible)

Away : absent, au loin

BRB : Be Right Back (je reviens)

BTW : By The Way (à propos)…

[6] Internet, communication et langue française, ss la dir. Jacques Anis, Paris, Hermès Science, 1999.

[7] « La complétude c’est ce qui est réalisé lorsque le locuteur actuel est arrivé de manière prévisible pour le locuteur suivant à la place pertinente pour le changement de locuteur » Bange, 1992 : 33)

[8] Cf. supra : les échanges réparateurs